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certains craquemens qui se produisaient en elle, signes révélateurs d’un présent précaire et d’un avenir incertain.

Au surplus, la question ministérielle était ce qui nous intéressait le moins dans cette affaire. Une question beaucoup plus importante et plus grave s’y trouvait posée dans les conditions les plus imprudentes : c’est celle dont Gambetta disait qu’il fallait y penser toujours et n’en parler jamais. Nous regrettons trop qu’on en ait parlé pour le faire à notre tour. Sans doute il serait intéressant de rechercher quel est actuellement l’état des esprits en Alsace, d’y entreprendre la revue des partis et de montrer comment ceux dont les sentimens sont restés le plus fidèles aux souvenirs d’autrefois ont renoncé à une protestation impuissante et stérile pour user d’une tactique nouvelle, dans l’espoir de reconquérir peu à peu l’exercice des libertés qu’on leur avait arrachées et d’obtenir une somme plus ou moins grande d’autonomie. C’est une étude que nous ferons peut-être un jour ; elle serait indiscrète et déplacée au lendemain d’un incident où tant de passions ont été agitées. Laissons d’abord le calme rentrer dans les esprits. Nous reviendrons à l’Alsace lorsque la triste affaire Delsor sera loin de nous. Mais, si nous renonçons aujourd’hui à porter nos regards au delà de nos frontières, que ce soit du moins pour les retourner sur nous-mêmes.

Ce qui vient de se passer est de nature à nous imposer un sérieux examen de conscience. On a vu le gouvernement, sans nécessité aucune, on ne saurait trop le répéter, expulser de France un député alsacien et user contre lui d’expressions correctes, assurément, en droit international, mais qui, par cela même, sont pour nous infiniment douloureuses. Or, il n’y avait aucun danger pour la sécurité publique à laisser M. Delsor prendre la parole dans une réunion privée, qui ne devait être composée que d’Alsaciens. C’était là une réunion de famille dont le retentissement ne pouvait pas porter bien loin, et dont les journaux de Paris auraient a peine tiré la matière d’un fait divers. Il y avait d’ailleurs d’autres moyens d’empêcher, si on le voulait, M. Delsor de parler : le plus simple était de le prier de se taire et de s’en retourner discrètement. Il l’aurait fait ; M. le président du Conseil s’en est montré convaincu lui-même. Alors, pourquoi cette mise en scène intempestive ? pourquoi cet arrêté ? pourquoi cette brutalité ? toutes choses choquantes en elles-mêmes, et qui le deviennent plus encore par le contraste qui s’impose avec l’extrême tolérance, on pourrait dire la complaisance, témoignées à des députés belges qui ont récemment parcouru nos départemens de l’Ouest pour y prêcher