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ajouter à ses douleurs, » de ne rien lui dire de l’altercation avec Davout. Mais Napoléon, avec sa perspicacité ordinaire, s’aperçut qu’il lui cachait quelque chose. Il le questionna, dit qu’il lui importait de tout savoir. Flahaut, alors, se décida à lui rapporter les paroles du ministre de la Guerre. — « Eh bien ! dit l’Empereur, qu’il y vienne ! »

L’Empereur, cependant, croyait au succès de cette dernière démarche. En attendant que revînt Flahaut, il avait fait quelques préparatifs de départ. Il reçut son trésorier Peyrusse et son notaire Noël (le successeur du fameux Raguideau), pour les formalités nécessaires à la vente d’une inscription de rente 5 pour 100, nominative, représentant en capital 180 333 francs. C’était l’argent qu’il comptait emporter pour son voyage. Des sommes beaucoup plus considérables devaient être déposées chez le banquier Jacques Laffitte, qui les ferait passer en Amérique à mesure des demandes de Napoléon. L’Empereur donna à cet effet des ordres à Peyrusse, qui, le soir même, fit transporter secrètement des caves des Tuileries à la banque Laffitte trois millions en or.

Madame-mère et le cardinal Fesch quittèrent la Malmaison ce jour-là. L’Empereur fit aussi ses adieux à la comtesse Walewska, venue tout en larmes de Paris. Il y eut d’autres visiteurs : Bassano, Rovigo, Lavallette, la duchesse de Vicence, Mme Duchâtel, la comtesse Caffarelli, la comtesse Regnaud, les généraux Lallemand et La Bédoyère, Meneval, Talma, dit-on, et Corvisart, déjà venu la veille. Après le départ de Corvisart, l’Empereur remit à son fidèle Marchand un très petit flacon rempli d’une liqueur rougeâtre. « Arrange-toi, lui dit-il, pour que j’aie cela sur moi, soit à ma veste, soit à une autre partie de mes vêtemens, mais de façon que je puisse m’en saisir vite. »

Quand l’Empereur se retrouvait seul, il reprenait sa lecture d’un livre d’Alexandre de Humboldt : les Voyages aux contrées équinoxiales du Nouveau Continent. Son imagination le transportait déjà en Amérique. Il rêvait d’y suivre les traces de l’illustre savant, de s’occuper à de grands travaux scientifiques. Trois jours auparavant, il avait dit à Monge : « Le désœuvrement serait pour moi la plus cruelle des tortures. Désormais sans armée et sans empire, je ne vois que les sciences qui puissent s’imposer fortement à mon âme. Mais apprendre ce que les autres ont fait ne saurait me suffire. Je veux faire une nouvelle carrière, laisser des travaux, des découvertes dignes de moi. Il me faut un compagnon