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qu’allait lui faire courir l’approche de l’ennemi, il paraissait ne point s’en inquiéter. « Qu’importe ! » murmurait-il. Parfois aussi il répondait : « Qu’ai-je à craindre ? Je suis sous la sauvegarde de l’honneur français. » Mais ceux qui l’entouraient de très près sentaient bien que ces paroles étaient affectées, qu’il ne se dissimulait pas la réalité du péril. Il se trahit, en disant à la princesse Hortense : « Moi, je ne crains rien ici, mais vous, ma fille, partez, quittez-moi ! »

Dans la matinée du 28 juin, il chargea son aide de camp, le général Flahaut, de faire une dernière démarche auprès de la Commission exécutive. Introduit dans le salon des Tuileries où se tenaient les séances, Flahaut renouvela la demande que les frégates missent à la voile sans attendre les sauf-conduits et déclara, au nom de son souverain, que, si le gouvernement refusait de donner cet ordre, l’Empereur ne quitterait pas la Malmaison. Davout était présent, adossé à la cheminée. Il gardait rancune à Flahaut de l’espèce d’inquisition que, sur l’ordre de l’Empereur, ce très jeune général avait exercée au ministère de la Guerre pendant les Cent-Jours. En outre, il ne voulait plus entendre parler de Napoléon. Converti par raison ou illusion patriotique à la cause du Roi, devenu, selon l’expression trop juste d’un contemporain, « le bras de la politique dont Fouché était l’âme, » il regardait la demande si légitime de l’Empereur comme un moyen de temporisation ; il soupçonnait des calculs politiques, des espérances persistantes, des intrigues secrètes. Son irritation éclata dans une apostrophe colère. Sans laisser au président le temps de formuler une réponse qui d’ailleurs eût été négative, il dit impétueusement à Flahaut : « Général, retournez auprès de l’Empereur, et dites-lui qu’il parte ; que sa présence nous gêne ; qu’elle est un obstacle à toute espèce d’arrangement ; que le salut du pays exige son départ. Qu’il parte sur-le-champ ! Sans quoi, nous serons obligés de le faire arrêter. Je l’arrêterai moi-même. » Flahaut regarda fixement Davout, et, leurs regards de feu croisés comme des épées, il répondit d’une voix vibrante : « Monsieur le maréchal, il n’y a que celui qui donne un pareil message qui soit capable de le porter. Quant à moi, je ne m’en charge pas. et si, pour vous désobéir, il faut donner sa démission, je vous donne la mienne. »

Le soir, Flahaut rendit simplement compte à l’Empereur du mauvais résultat de sa mission. Il s’était promis, « pour ne pas