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demanda des nouvelles de Paris, de l’armée, de l’ennemi. Chacun dit ce qu’il avait appris dans la soirée de la veille et dans la nuit. En qualité de directeur général des postes, Lavallette avait non seulement des avis du gouvernement, mais des rapports de tous les courriers. Il était le mieux informé. Il savait que les débris de la Garde et des corps Drouet d’Erlon, Reille et Lobau étaient rentrés dans Paris avec Grouchy par Claye et le Bourget, et que Vandamme ramenait les 3e et 4e corps et le gros de la cavalerie par Meaux et Vincennes. Il connaissait l’occupation de Gonesse, de Pierrefitte, de Stains, du Bourget, par les avant-gardes de l’armée prussienne, dont les masses défilaient sur les routes de Senlis et de Soissons. Il savait enfin que, dans les combats de la veille, on n’avait pas vu un seul corps anglais. Tandis que parlait Lavallette, on entendit de grands cris sur la route. Napoléon s’informa. C’étaient des : « Vive l’Empereur ! » d’un détachement de la ligne qui allait détruire le pont du Pecq. Les soldats, sachant leur empereur à la Malmaison, le saluaient par des acclamations. Napoléon parut ému. Il réfléchit un instant, se pencha sur sa carte, changea de position les épingles qui y étaient piquées. Il releva la tête, ses yeux brillaient. « La France, dit-il, ne doit pas être soumise par une poignée de Prussiens. Je puis encore arrêter l’ennemi et donner au gouvernement le temps de négocier avec les Puissances. Après, je partirai pour les États-Unis afin d’y accomplir ma destinée. » Il remonta dans sa chambre par le petit escalier dérobé qui accède de la Bibliothèque au premier étage, redescendit presque aussitôt en uniforme, et fit appeler le général Beker.

Beker s’attendait à quelque nouvel ordre pour le départ. Il ne fut pas peu surpris de voir Napoléon avec l’habit de chasseur de la Garde, botté, éperonné, l’épée au côté et le chapeau sous le bras. Son visage rasséréné, sa voix ferme, respiraient la confiance. Il semblait rajeuni, transfiguré. Le morne captif de la Malmaison était redevenu l’Empereur. « Général, dit-il, la situation de la France, les vœux des patriotes, les cris des soldats réclament ma présence pour sauver la patrie. Je vous charge d’aller dire à la Commission de gouvernement que je demande le commandement, non comme Empereur, mais comme un général dont le nom et la réputation peuvent encore exercer une grande influence sur le sort de la nation. Je promets, foi de soldat, de citoyen et de Français, de partir pour l’Amérique, afin d’y accomplir