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Il protesta que l’engagement de l’Empereur était sincère. Fouché répliqua vivement : « Croyez-vous que nous soyons ici sur un lit de roses ? Il ne nous est pas permis de rien changer aux dispositions prises par nous. » Beker, comprenant qu’il n’y avait pas à lutter contre la volonté omnipotente de Fouché, se sentit « le cœur navré de douleur : » Il dit : « Je voudrais au moins être porteur d’un avis du gouvernement, car, si je ne retourne à la Malmaison qu’avec une réponse verbale, Sa Majesté pourra douter de mon zèle à exécuter son mandat. » Fouché traça précipitamment et remit à Beker ce billet pour le duc de Bassano : « Le Gouvernement provisoire, ne pouvant accepter les propositions que le général Beker vient de lui faire de la part de Sa Majesté, par des considérations que vous saurez apprécier vous-même, je vous prie, monsieur le duc, d’user de l’influence que vous avez constamment exercée sur son esprit pour lui conseiller de partir sans délai, attendu que les Prussiens marchent sur Versailles. »

Fouché avait parlé et écrit sans consulter ses collègues, sans même leur demander le moindre signe d’acquiescement. « Ceux-ci ne semblaient être que des témoins. » À l’étonnement profond de Beker, le duc d’Otrante résolvait seul les plus graves questions et semblait disposer de la France comme un dictateur.

Quand Beker revint à la Malmaison, il vit dans la cour un mouvement fébrile comme aux abords d’une ruche d’abeilles. Des hommes d’écurie, des ordonnances amenaient les chevaux sellés et harnachés, les officiers en grande tenue sortaient du château, y rentraient l’air affairé, inspectaient les sangles et les fers des chevaux, vérifiaient la position des chabraques, visitaient les fontes et les portemanteaux. Beker ne pressentait que trop le motif de cette agitation. Il s’enquit cependant, redoutant que Napoléon ne passât outre à la décision du gouvernement. M. de Montaran, écuyer de service, lui dit que l’Empereur allait monter à cheval pour se rendre à l’armée. « Attendez de nouveaux ordres, se hâta de dire Beker. L’Empereur pourra modifier son projet quand il aura connaissance des faits que j’ai à lui apprendre. » En même temps, pour calmer l’effervescence des jeunes officiers, il leur fit un signe de tête négatif qui les désespéra.

L’Empereur attendait dans son cabinet. Il écouta sans l’interrompre le récit de Beker, et reçut son arrêt avec le plus grand sang-froid. « Ces gens-là, dit-il, ne connaissent pas l’état des esprits. Ils se repentiront d’avoir refusé mon offre. » Il réfléchit