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un instant et reprit : « — Leur avez-vous rappelé mes paroles et ma promesse ? — Oui, Sire. — Bien ! alors je n’ai plus qu’à partir. Donnez les ordres. Quand ils seront exécutés, venez me prévenir[1]. »

C’était une illusion de Fouché et de ses collègues de croire qu’ils tenaient Napoléon en leur pouvoir. A la Malmaison, l’Empereur était prisonnier, mais il était prisonnier uniquement sur parole. S’il avait persisté dans sa résolution, ni les ordres de Fouché, ni l’autorité toute nominale du général Beker, n’auraient pu l’empêcher de monter à cheval pour rejoindre l’armée. « Je n’aurais qu’un signe à faire, dit-il, et la troupe qui me garde arrêterait Beker et me servirait d’escorte pour passer où je voudrais ! » Mais, durant ces quatre ou cinq heures d’attente, la volonté d’agir, qui ne l’animait plus qu’avec intermittence, s’était épuisée. Il n’eut point de révolte. Il accepta son sort, moins par nécessité ou respect de sa parole que par lassitude. Les récens événemens lui avaient donné le découragement des choses et le dégoût des hommes. « Ils ont encore peur de moi ! dit-il à Hortense. Je voulais faire un dernier effort pour le salut de la France. Ils ne l’ont point voulu. »

L’Empereur remonta dans sa chambre, déposa l’épée, revêtit un frac de couleur brune et prit un chapeau rond. Il se fit ouvrir la chambre où Joséphine était morte et y resta seul, portes closes, pendant quelques minutes. Rentré dans son cabinet, il fit ses adieux à Joseph et à Hortense ; la princesse le pria d’accepter un collier de diamans, d’une valeur de 200 000 francs, qu’elle-même avait cousu dans une ceinture. Il reçut les officiers du dépôt de la vieille Garde qui formait la petite garnison. Ils pleuraient. L’un d’eux, voulant parler au nom de ses camarades, ne trouva à balbutier que ces dix mots : « — Nous voyons bien

  1. On a dit et maintes fois répété que ce fut l’approche d’un parti prussien, signalé sur la rive droite de la Seine, vers Chatou, qui détermina l’Empereur à partir. C’est inexact. A quatre heures et demie, il n’y avait pas un seul Prussien entre la Seine et l’Oise, à l’ouest de Saint-Denis. Dans l’après-midi seulement, Bülow avait transmis au major de Colomb, au Bourget, l’ordre de Blücher lui prescrivant de se porter sur la Malmaison pour enlever l’Empereur. Colomb se rendit par Gonesse à Farges, où il réunit à ses hussards deux bataillons du 15e d’infanterie. Pensant qu’il ne pouvait réussir ce hurrah qu’en pleine nuit, il ne se pressa pas et fit un long détour pour mieux dissimuler sa marche. Il prit par Deuil, Sannois, Saint-Gratien, Sartrouville et atteignit le 30 juin, à deux heures du matin, Montesson, où il dut laisser souffler sa troupe harassée. Pendant cette halte, il apprit que le pont de Chatou était brûlé et que l’Empereur était parti la veille.