Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

oriental que cette apparition du tombeau de la sainte Fatmah, un soir de mai, au sortir d’une nef obscure.

Il existe donc encore en Perse des choses qui ne sont pas en ruines, et, de nos jours, on peut donc construire ou restaurer comme au temps des Mille et une Nuits !... C’est le Chah Nasr-ed-din qui, en plein XIXe siècle, fit remettre à neuf, avec ce luxe insensé, et ordonna de recouvrir de mosaïques d’or la vieille mosquée très sainte, où son père et sa mère reposent aujourd’hui, à côté de Fath-Ali-Chah et de la petite-fille du Prophète


Le caravansérail, paraît-il, est encore loin, de l’autre côté du pont courbe et de la rivière sans eau. Alors, laissons partir la voiture, et, avant que le soleil s’éteigne, allons voir la mosquée.

Une place immense et bien étrange lui sert de parvis, une place qui est à la fois un vieux cimetière poudreux et une inquiétante cour des miracles. Ce semblant de pavage, ces longues dalles sur lesquelles on marche, sont des tombes alignées à se toucher ; ce sol est plein d’ossemens de toutes les époques, il est amalgamé de poussière humaine. Et, comme les reliques de la sainte Fatmah attirent des pèlerins sans nombre et opèrent des miracles, une truanderie sinistre est accourue de tous les points de la Perse pour élire domicile alentour. Parmi les vendeurs de chapelets et d’amulettes, étalant leur marchandise par terre sur des guenilles, des mendians estropiés montrent des moignons rougeâtres ; d’autres mettent à nu des lèpres, des cancers, ou des gangrènes couvertes de mouches. Il y a des derviches à longue chevelure, qui marchent en psalmodiant, les yeux au ciel ; d’autres, qui lisent à haute voix dans de vieux livres, avec exaltation comme des fous. Tout ce monde est vêtu de loques terreuses ; tout ce monde a l’air inhospitalier et farouche ; le même fanatisme se lit dans les regards trop ardens ou dans les regards morts.

Au milieu de cette place, de ce champ de tombeaux, et entourée de cette foule pouilleuse en haillons couleur de cendre, la splendeur toute fraîche d’une telle mosquée rayonne avec invraisemblance.

Intérieurement le sanctuaire est, parait-il, d’une richesse inimaginable, mais les infidèles comme nous en sont exclus sans merci, et il faut nous arrêter aux portes de l’enceinte extérieure.