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C’est du reste une enceinte émaillée du haut en bas, et déjà magnifique ; elle enferme jalousement, — comme la muraille d’un jardin persan enferme ses arbres, — les minarets et les fuseaux d’émail vert et or, qui s’élancent de terre avec la sveltesse des joncs, autour de la mosquée proprement dite et de ses coupoles étincelantes.

La truanderie nous harcèle, traînant ses plaies, sa fétidité et sa poussière, elle nous suit jusqu’à ces portes, où elle nous retiendrait avec une centaine de mains hideuses, si nous avions l’idée de passer. Rester sur le seuil et regarder de là, c’est tout ce qui nous est permis.

Les soubassemens de l’édifice sont de marbre blanc, et représentent des vases alignés en séries ; des vases d’où paraissent sortir toutes ces fleurs, peintes sous l’émail des parois ; les branches de roses, les gerbes d’iris, commencent à quelques pieds à peine au-dessus du sol ; elles s’enlacent aux arabesques bleues, comme feraient des plantes grimpantes à un espalier, et montent rejoindre les mosaïques d’or des frises et des dômes. Je ne crois pas qu’il existe au monde, — à part peut-être les temples de la sainte montagne au Japon, — un monument revêtu au dehors avec un tel luxe et un tel éclat de couleurs ; — et c’est là, dans une vieille ville de décombres et de grisailles, à deux pas des déserts.


Vendredi 35 mai. — Nous avions oublié, en dormant, dans quel voisinage sans pareil nous étions et sur quelles splendeurs avait vue notre misérable gîte. Ouvrir la porte de sa terrasse et apercevoir devant soi le tombeau de la sainte Fatmah, au pur lever du jour, est un saisissement rare : par-dessus les arbres tout poudrés de corail, les grenadiers tout rouges de fleurs, un monument d’une grâce orientale presque outrée et qui du haut en bas brille comme les robes du Chah Abbas ; des pointes d’or, des coupoles d’or ; des ogives bleues ou roses ; des flèches et des tourelles aux reflets changeans, comme en ont seuls les oiseaux des îles ; et, derrière tout cela, des ruines et le morne horizon des solitudes.

Cette ville de Koum nous réservait, au départ, une autre surprise : celle d’une vraie route, empierrée comme les nôtres, bordée de deux petits fossés et d’une ligne télégraphique, à travers d’immenses champs de blé. Et cela nous semble le comble de la civilisation.