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frais pour redescendre en ville et y faire des visites. Téhéran, sous le soleil qui est d’ordinaire sa parure, me paraît moins décevant qu’hier sous l’averse et les nuages. Il y a des avenues bordées d’ormeaux centenaires, des places ombragées de platanes énormes et vénérables, des recoins qui sont encore de l’Orient charmeur. Et partout s’ouvrent les petites boutiques anciennes où s’exercent tranquillement les métiers d’autrefois. Les mosaïstes, penchés sur des tables, assemblent leurs minuscules parcelles d’ivoire, de cuivre et d’or. Les peintres patiens, au fin visage, enluminent les boîtes longues pour les encriers, les boîtes ogivales pour les miroirs des dames, les cartons pour renfermer les saints livres ; d’une main légère et assurée, ils enlacent les arabesques d’or, ils colorient les oiseaux étranges, les fruits, les fleurs. Et les miniaturistes reproduisent, dans différentes attitudes, cette petite personne, avec sa rose tenue du bout des doigts, qui semble être toujours la même et n’avoir pas vieilli depuis le siècle de Chah Abbas : des joues bien rondes et bien rouges ; presque pas de nez, presque pas de bouche ; rien que deux yeux de velours noir, immenses, dont les sourcils épais se rejoignent. — Il existe d’ailleurs en réalité, ce type de la beauté persane ; parfois un voile soulevé par le vent me l’a montré, le temps d’un éclair ; et on dit que certaines princesses de la cour l’ont conservé dans sa perfection idéale...

De toutes ces avenues, plantées de vieux ormeaux superbes, la plus belle aboutit à l’une des entrées du palais, dite « Porte des diamans. » Et cette porte semble une espèce de caverne magique, décorée de lentes cristallisations souterraines ; les stalactites de la voûte et les piliers, qui sont revêtus d’une myriade de petites parcelles de miroir, de petites facettes taillées, jettent au soleil tous les feux du prisme.

Je retourne au palais aujourd’hui, faire visite au jeune héritier du trône de la Perse, S. A. I. Choah-es-Saltaneh, qui veut bien me recevoir en l’absence de son père. Les salons où je suis introduit ont le tort d’être meublés à l’européenne, et ce prince de vingt ans, qui m’accueille avec une grâce si cordiale, m’apparaît vêtu comme un Parisien élégant. Il est frêle et affiné ; ses grands yeux noirs, frangés de cils presque trop beaux, rappellent les yeux des ancêtres, peints dans la salle du trône ; gainé de brocart d’or et de gemmes précieuses, il serait accompli. Il parle français avec une aisance distinguée ; il a habité Paris, s’y