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est amusé et le conte en homme d’esprit ; il se tient au courant de révolution artistique européenne, et la conversation avec lui est vive et facile, tandis que l’on nous sert le thé, dans de très petites tasses de Sèvres. Malgré les consignes lancées en l’absence du souverain, et malgré les scellés mis à certaines portes. Son Altesse a la bonté de donner des ordres pour que je puisse demain voir tout le palais.

Ma seconde visite est au grand vizir, qui veut bien improviser pour demain un dîner à mon intention. Là encore, l’accueil est de la plus aimable courtoisie. Du reste, n’étaient les précieux tapis de soie par terre, et, sur les fronts, les petits bonnets d’astrakan, derniers vestiges du costume oriental, on se croirait en Europe : quel dommage, et quelle erreur de goût !... Cette imitation, je la comprendrais encore chez des Hottentots ou des Cafres. Mais, quand on a l’honneur d’être des Persans, ou des Arabes, ou des Hindous, ou même des Japonais, — autrement dit, nos devanciers de plusieurs siècles en matière d’affinemens de toutes sortes, des gens ayant eu en propre, bien avant nous, un art exquis, une architecture, une grâce élégante d’usages, d’ameublemens et de costumes, — vraiment, c’est déchoir que de nous copier.

Nous allons ensuite chez l’un des plus grands princes de Téhéran, frère de Sa Majesté le Chah. Son palais est bâti dans un parc de jeunes peupliers, longs et minces comme des roseaux, un parc qu’il a créé à coups de pièces d’or, en amenant à grands frais l’eau des montagnes. Les salles d’en bas, entièrement tapissées et plafonnées en facettes de miroirs, avec de longues grappes de stalactites qui retombent de la voûte, font songer à quelque grotte de Fingal, mais plus scintillante que la vraie et d’un éclat surnaturel. Le prince nous reçoit au premier étage, où nous montons par un large escalier bordé de fleurs ; il est en tenue militaire, la moustache blanchissante, l’air gracieux et distingué, et nous tend une main irréprochablement gantée de blanc. (De mémoire d’étranger, on ne l’a vu sans ses gants toujours boutonnés, toujours frais, — et ce serait, paraît-il, pour ne pas toucher les doigts d’un chrétien, car on le dit d’un fanatisme farouche, sous ses dehors avenans.) Les salons de ce grand seigneur persan sont luxueusement meublés à l’européenne, mais les murs ont des revêtemens d’émail, et par terre, toujours ces velours à reflets, ces tapis comme il n’en existe pas. Sur