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de haut ; combien donc de brisées en route, pour une (seule arrivant à bon port, et devenant ainsi un objet de grand luxe ! Peut-être même l’encombrement des cassons de miroirs a-t-il donné aux Persans l’idée première de cette décoration en stalactites brillantes, dont ils ont réussi à faire quelque chose de surprenant et d’unique.

C’est du reste tout ce qu’il y a de particulier dans cet immense palais, ces voûtes comme frangées de glaçons, que l’on a su varier avec une fantaisie inépuisable. Et rien de ce que nous voyons aujourd’hui ne vaut cette salle du trône, encore purement persane, où nous étions entrés le premier jour par escalade.

Au premier étage, une galerie, grande comme celles du Louvre, contient un amas d’objets précieux. Elle est pavée de faïences roses qui disparaissent sous les tapis soyeux, spécimens choisis de toutes les époques et de tous les styles de la Perse. Une quantité exagérée de lustres de cristal s’y alignent en rangs pressés ; leurs pendeloques sans nombre, s’ajoutant aux stalactites de la voûte, donnent l’impression d’une sorte de pluie magique, d’averse qui se serait figée avant de tomber. Et les fenêtres ont vue sur les jardins de mélancolie, sur les pièces d’eau tranquillement réfléchissantes. Il y a là, dans des vitrines, sur des étagères, sur des crédences, partout, des milliers de choses, amassées depuis le commencement de la dynastie actuelle ; des pendules en or couvertes de pierreries, avec des complications extraordinaires de mécanismes et de petits automates ; des mappemondes en or, constellées de diamans ; des vases, des plats, des services de Sèvres, de Saxe, de Chine, cadeaux de rois ou d’empereurs aux souverains de la Perse. En l’absence du Chah, une infinité de pièces rares ont été cachées, scellées dans des coffres, dans des caves ; aux tréfonds du palais dorment des amas de gemmes sans prix. Mais, tout au bout et au centre de cette galerie, sous le dernier arceau frangé de cristal, la merveille des merveilles, trop lourde pour qu’un vol soit possible, est restée là, sans écrin, sans housse, posée sur le parquet comme un meuble quelconque : le trône ancien des Grands Mogols, qui figura jadis au palais de Delhi, dans la prodigieuse salle de marbre ajouré. C’est une estrade en or massif, de deux ou trois mètres de côté, dont les huit pieds d’or ont des contournemens de reptile ; le long de toutes ses faces courent des branches de fleurs en relief, dont les feuillages sont en émeraudes,