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les pétales en rubis ou en perles. Sur ce socle fabuleux, parade orgueilleusement un étrange fauteuil en or, qui a l’air tout éclaboussé de larges gouttes de sang, — et ce sont des cabochons de rubis ; au-dessus du dossier, rayonne un soleil en diamans énormes, qu’un mécanisme fait tourner quand on s’assied, et qui alors jette des feux comme une pièce d’artifice.


C’est ce soir le dîner que veut bien donner pour moi S. E. le Grand Vizir.

Une table garnie de fleurs et correctement servie à l’européenne ; des ministres en habit noir et cravate blanche, avec des grands cordons et des plaques ; on a vu cela partout. A part les kalyans, qui, au dessert, font le tour des convives, ce repas serait pareil à celui que notre ministre des Affaires étrangères, — qui est le grand vizir de chez nous, — pourrait offrir à un étranger de passage, dans un salon du quai d’Orsay. Entre cette ville et Ispahan, il n’y a pas seulement les cent lieues de solitudes dont nous venons de parcourir les étapes, il y a bien aussi trois siècles, pour le moins, trois siècles d’évolution humaine.

Mais le réel intérêt de cette réception est dans la sympathie qui m’est témoignée et qui s’adresse évidemment à mon pays bien plus qu’à moi-même ; tous mes aimables hôtes parlent encore le français, qui, malgré les efforts de peuples rivaux, demeure la langue d’Occident la plus répandue chez eux. Et ils se plaisent à me rappeler que la France fut la première nation d’Europe entrée en relations avec l’Iran, celle qui, bien des années avant les autres, envoya des ambassadeurs aux Majestés persanes.


Mercredi 30 mai. — De Téhéran, par la nouvelle route carrossable, une voiture peut vous conduire en quatre ou cinq jours au bord de la mer Caspienne, à Recht, et de Recht un paquebot russe vous mène à Bakou, la ville du pétrole, qui est presque aux portes de l’Europe. Mais cette voiture, il n’est pas toujours facile de se la procurer ; encore moins les chevaux, en ce moment où le récent départ de S. M. le Chah et de sa suite a dépeuplé toutes les écuries, aux relais de la poste.

Et, pendant que l’on cherche pour moi d’introuvables équipages, du matin au soir, dans le petit bois de la Légation de France, se succèdent les visites des marchands juifs, toujours