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informés comme par miracle de la présence d’un étranger. Ils remontent de Téhéran, qui sur une mule, qui sur une bourrique, tel autre à pied, suivi de portefaix chargés de lourds ballots ; sous les fraîches vérandas, à l’ombre des peupliers, ils étalent pour me tenter les tapis anciens, les broderies rares.


Jeudi 31 mai. — On a réussi à me trouver une mauvaise voiture, à quatre chevaux, et un fourgon, à quatre chevaux aussi, pour mes colis. Je pars, à travers des plaines maussades et quelconques, sous de tristes nuages, qui nous cachent tout le temps l’horreur superbe des montagnes.


Vendredi 1er juin. — Toujours pas d’arbres. Sur le soir, nous entrons dans Kasbine, ville de 20 000 habitans au milieu des blés, ville aux portes de faïence, ancienne capitale de la Perse, jadis très populeuse et aujourd’hui pleine de ruines ; dans ses rues, déjà un peu européennes, apparaissent les premières enseignes écrites en russe.

Le gîte est moitié hôtel, moitié caravansérail. Au crépuscule, à l’heure où les martinets tourbillonnent, quand je suis assis devant la porte suivant l’usage oriental, de jeunes Persans, qui ont deviné un Français, viennent m’entourer gentiment, pour avoir une occasion de causer en notre langue, qu’ils ont apprise à l’école. Ils parlent avec lenteur, l’accent doux et chanté ; et je vois quel prestige, à leurs yeux, notre pays conserve encore.


Samedi 2 juin. — Un de mes chevaux est mort cette nuit, il faut en hâte en acheter un autre. Mes deux cochers sont ivres, et n’attellent qu’après avoir reçu des coups de bâton.

Plaines de moins en moins désolées ; des foins chamarrés de fleurs, où paissent d’innombrables moutons noirs ; des blés couleur d’or, où des nomades turcomans font la moisson. Le vent n’est plus si âpre, le soleil brûle moins ; nous avons dû perdre déjà de notre altitude habituelle. Il fait idéalement beau, comme chez nous par les pures journées de juin. À midi cependant reviennent encore les mirages, qui dédoublent les moutons dans les prairies et allongent en géans les bergers.

Autour du petit village de Kouine, qui est notre étape du soir, nous retrouvons enfin les arbres : d’immenses noyers, qui doivent être vieux de plus d’un siècle, jettent leur ombre sur