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expliquée et complétée par la convention Nishi-Rosen partage théoriquement l’influence entre les deux pays. Au point de vue économique, la première place appartient certainement aux Japonais, leur commerce l’emporte sur tous les autres, tout en ne dépassant guère dix millions de yen (25 millions de francs) par an ; les échanges avec la Mandchourie russe ne sont que d’un peu plus de 200 000 yen ; 25 000 Japonais environ sont fixés dans les ports et à Séoul. Mais si les intérêts économiques du Japon sont en Corée les premiers, on voit d’après ces quelques chiffres qu’ils sont loin d’avoir une importance telle qu’elle leur confère des droits exclusifs à y exercer une domination ou un protectorat. Haïs en Corée, surtout depuis l’assassinat de la reine, pour leur arrogance et leurs prétentions, les Japonais établis dans le pays ne sont généralement pas la partie la plus saine de la population ; « ils sont loin, écrit l’un des derniers voyageurs qui aient bien étudié le Japon et la Corée, d’occuper la position de peuple supérieur en civilisation et en richesse qu’ils se targuent d’être aux yeux de leurs voisins ; les Japonais, ceux de Séoul spécialement, sont la lie de la population nippone[1]. » Dans ce pays, où l’empereur a tous les pouvoirs et ne sait en exercer aucun, les intrigues étrangères ont beau jeu. M. Dumolard cite à ce propos un mot bien topique du ministre à Séoul de l’une des grandes puissances : « Si je le veux, lui disait-il, il y aura une émeute ce soir dans la capitale et comme mon confrère japonais peut en faire autant, vous comprenez... »

Ainsi la Corée est à qui voudra la prendre et l’organiser ; mais, plus encore que la tâche de l’administrer et que le bénéfice de la mettre en valeur, c’est l’ambition d’occuper une incomparable position stratégique qui fait de l’Empire du Matin calme une proie si tentante pour la Russie et pour le Japon. Pour la Russie, elle est le complément naturel de son empire asiatique et, elle peut devenir, si elle lui échappe, une formidable épine enfoncée dans sa chair. Maître de la Corée et du détroit, établi à Chemulpo, à Mokpo, à Masampho, le Japon séparerait Vladivostok de Port-Arthur, diviserait en deux tronçons l’empire russe d’Extrême-Orient. Les Russes, installés en Corée, à quelques heures des côtes nippones, ne seraient pas pour le Japon une menace moins redoutable ; ils pourraient fermer le pays aux

  1. Henry Dumolard, le Japon politique, économique et social ; Armand Colin, 1903, in-16, p. 312.