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rendre inexpugnables ; il fallait amener du trafic au chemin de fer, russifier peu à peu le pays. Port-Arthur fut muni de fortifications et servit de port de refuge à une flotte qui n’a cessé de s’accroître et qui compte actuellement les meilleures unités de combat que la Russie puisse mettre en ligne ; un bassin de radoub est sur le point d’y être achevé. Ta-lien-ouan, que l’on ne connaît plus que sous son nom russe de Dalny, devint une belle ville moderne, avec tout l’outillage d’un grand port de commerce. Sur tout le parcours des nouveaux chemins de fer, des colons russes vinrent se fixer ; derrière les soldats, commerçans et agriculteurs s’installèrent. La Mandchourie, traversée par une voie ferrée russe, gardée par des troupes russes, se transforme peu à peu en une province russe : une Russie nouvelle grandit à l’extrémité de l’Asie. Ce fait capital fut rendu sensible le jour (12 août 1903) où l’amiral Alexeieff fut nommé vice-roi des provinces de l’Amour, et responsable, sous l’autorité directe du Tsar, de toute la politique russe en Extrême-Orient. Il fut évident ce jour-là qu’une partie de la Sainte Russie s’était transportée sur le Pacifique et que l’aigle à deux têtes n’était plus seulement le symbole d’un idéal, mais la représentation d’une réalité.

Dans son irrésistible glissement vers l’Océan, le « glacier russe » s’est heurté à un énorme rocher, la Corée, qui l’a forcé à se diviser en deux courans pour aboutir, d’une part au golfe du Pé-tchi-li, de l’autre à Vladivostok, sur la mer du Japon. Enserré, comme dans un étau, entre les deux branches du Transsibérien et entre les deux grands ports russes, cet empire de dix millions d’hommes, livré à l’anarchie, eût été une proie facile pour la Russie, s’il n’eût été convoité, en même temps, par le Japon. Entre ces deux puissans voisins, l’Empire du Matin calme reste absolument passif, comme ces esclaves qui assistent aux enchères dont ils sont l’objet ; ni le peuple, ni le malheureux empereur Yi-Hong, ne sont capables de résistance ou d’organisation : le peuple est trop doux, le gouvernement trop faible. La Corée est le champ clos où Russes et Japonais se disputent la suprématie dans la Chine du Nord et dans le Pacifique occidental. Nous ne rappellerons ici ni les incidens multiples auxquels la rivalité des deux États a donné naissance, ni les alternatives qui ont fait, tour à tour, dans ces dernières années, prédominer l’influence de l’un ou de l’autre. La convention Lobanof-Yamagata,