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le chemin de fer de Tchemoulpo à Séoul, revendu depuis aux Japonais, les tramways électriques de Séoul, une mine d’or. Ainsi, à travers le Pacifique, l’activité des Etats-Unis s’étend jusque sur le monde jaune ; ils ont pris part à l’expédition de Pékin en 1900 et aucun événement ne s’accomplit dans l’Asie orientale sans que leur diplomatie y intervienne : où, il y a six ans, leurs intérêts étaient presque nuls et leur influence politique insignifiante, ils ont aujourd’hui de vastes possessions territoriales, un trafic considérable, une politique active. L’« américanisation du monde » envahit l’Asie.

A cet essor de la puissance américaine dans le Pacifique et dans les pays jaunes, l’ouverture du canal de Panama viendra donner l’impulsion décisive. Si les citoyens de l’Union sont impatiens d’ouvrir une voie navigable entre les deux océans qui baignent leur empire, c’est par un effet naturel de leur expansion dans le Pacifique ; si bien que l’on pourrait dire que la révolution de Panama est une conséquence de l’ouverture de la Chine et des marchés de l’Asie orientale au commerce du monde. La côte américaine du Pacifique n’aura jamais, en effet, une vie aussi active et un développement humain aussi intense que la côte de l’Atlantique ; la géographie s’y oppose. Partout des montagnes abruptes bordent le littoral ; en deux points seulement, la baie de San Francisco et le Puget-Sound, la côte est accessible ; deux ports s’y sont ouverts : San Francisco, la métropole du Pacifique, et Seattle, le rival de Victoria. Partout ailleurs, la configuration du sol rend très difficile l’aboutissement d’un chemin de fer. L’arrière-pays, sauf dans les vallées de la Californie, est constitué par des montagnes, des plateaux désertiques qu’il faut traverser pour aboutir à l’Océan ; il n’y a rien là de comparable à la merveilleuse façade de l’Amérique du Nord sur l’Atlantique, avec ses profondes découpures, ses plaines fertiles et les immenses ressources de son arrière-pays. Permettre aux ports américains de l’Atlantique de porter directement jusqu’aux marchés d’Asie les produits du sol et de l’industrie des États de l’Est, c’est la véritable raison d’être du canal, et c’est pour obtenir au plus tôt ce résultat que le gouvernement de Washington n’a pas reculé devant la brutalité d’une solution révolutionnaire. L’ouverture de Panama entraînera la conquête du Pacifique par les Yankees et un essor prodigieux de leur commerce avec l’Extrême-Asie ; maîtres du canal, ils tiendront l’une