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L’infanterie ne voulait pas rester en arrière. Elle imagina les feux de masse et les attaques en masse dites décisives. Nous venons de voir celles-ci décrites dans les citations empruntées au projet de règlement de 1901.

En ce qui concerne les feux de masse, une école de tir « normale » inventa « la gerbe, » faisceau théorique des trajectoires des balles partant d’un groupe serré de tireurs dont tous les fusils sont dirigés avec la même hausse sur le même objectif. Elle en déduisit des règles tactiques et formula même cette conclusion paradoxale, que l’instruction des tireurs n’a qu’une importance minime au point de vue des résultats obtenus à la guerre, la conduite scientifique du feu par les chefs pouvant seule amener des résultats.

Le soldat nerveux et impressionnable du champ de bataille était oublié ; — un héros imaginaire, sans émotions, obéissant à des chefs savans et imperturbables, servait de base à toute cette doctrine. Pour forcer les positions, le commandement n’avait plus qu’à lancer les masses de son infanterie, au moment qu’il jugeait propice ; c’est-à-dire au moment où il jugeait suffisante la préparation de l’attaque. Quelles que fussent les pertes, les survivans devaient pénétrer. Alors on discuta sur les formations à employer pour diriger ces marches à l’holocauste.

Les formalistes se mirent d’accord pour préconiser le système des vagues humaines qui viendront battre le rocher jusqu’à ce qu’il soit submergé.

Ils oublient que, si quelques milliers d’hommes lancés contre une position voient en peu d’instans tomber 5 ou 600 des leurs, le reste devient inerte, se couche ou se débande.

Ayant ainsi écarté les réalités de la guerre, les doctrinaires ne devaient pas s’arrêter. La bataille-type apparut. Elle est divisée en phases comme les drames se partagent en actes. Ce sont : La prise de contact. — L’engagement des avant-gardes. — Le déploiement. — Le combat d’usure. — La préparation de l’attaque. — L’attaque décisive. — La poursuite ou la retraite.

Ces phases doivent se dérouler dans un ordre logique, régulier et immuable. Cette disposition, étant scientifique, est par conséquent indiscutable, et l’ennemi ne peut pas s’y soustraire, puisqu’il est comme nous lié par les formules de la science.

La bataille, ce déroulement ininterrompu d’événemens subits et imprévus, où le génie du chef joue le rôle prépondérant puis-