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s’est produit, il faut se rappeler le mouvement créé dans les esprits par nos défaites.

Au bout de peu de temps, il fut admis comme évident que leur cause essentielle résidait dans l’oubli des principes de la guerre napoléonienne. Le maréchal de Moltke avait dû ses succès à l’application de la stratégie et de la tactique impériales. Cette affirmation flattait notre amour-propre. Au lieu de regarder en face les nombreuses défaillances du commandement et des troupes, il fut convenu que celles-ci s’étaient toujours parfaitement comportées. Nos désastres ne pouvaient donc provenir que de l'ignorance des généraux.

Un mot d’une haute portée philosophique : « Nous avons été battus par le maître d’école, » fut pris au pied de la lettre. Il résumait le rôle prépondérant de l’instituteur, dans le développement du patriotisme et de l’énergie morale de la nation allemande. On n'y vit que la constatation de notre insuffisance scientifique. Une fièvre de travail s’empara de l’armée et les professeurs, émergeant de toute part, eurent tôt fait de créer les doctrinaires. L’École supérieure de Guerre, au lieu de fonder ses hautes études sur l’histoire de toutes les campagnes, concentra essentiellement son enseignement sur celles de Napoléon. Elle aboutit à en déduire des procédés schématiques, qui furent dès lors enseignés par les professeurs comme les seules méthodes rationnelles conduisant à la victoire.

Ainsi surgit la doctrine qui s’intitula « la guerre de masses. »

Elle se déclara seule capable de faire la grande guerre et conquit aussitôt les plus chauds partisans. D’abord la plupart des grands chefs, car il est dans la nature humaine d’accueillir avec faveur les dispositions qui augmentent l’importance de son commandement ; ensuite la foule, qui croit voir une manifestation essentielle de la force, dans la réunion en grosses unités des différens organes d’une armée. Aussi, quand les divisions de cavalerie furent formées, on envisagea aussitôt leur réunion en corps de cavalerie, et ce principe reçut sa consécration dans le règlement du 12 mai 1899. art. 717.

L’artillerie, poussée dans la même voie, organisa au camp de Châlons, de 1884 à 1897, des manœuvres de masses. On y vit des groupemens de 20 à 22 batteries évoluer suivant des hypothèses que les plaines exceptionnelles de la Champagne permettaient seules de réaliser.