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« O reine de beauté, Forêt, tu nous accueilles
Avec tes bras charmans, fleuris de chèvrefeuilles.
Tu nous ouvres sans peur tes seuils hospitaliers,
Et nous y pénétrons, hardis et familiers,
Tandis qu’autour des fûts vénérables des hêtres
Errent pensivement les ombres des ancêtres,
Et que dans les vapeurs du soleil matinal
Les Dryades en chœur semblent mener leur bal,
Aux sons flûtes et clairs d’invisibles fontaines.
O Forêt, ô déesse aux grâces souveraines,
Enchanteresse dont les attirans regards
Rayonnent à travers de longs cheveux épars ;
Du toucher de tes doigts, du souffle de tes lèvres,
Tu panses notre plaie et tu guéris nos fièvres.
En ton giron jonché de sauges et de thyms,
Dans la tiédeur des soirs et le frais des matins.
Tu nous prends, maternelle et bonne ; tu nous berces
Avec ton chant d’aïeule... Et nous, races perverses,
Pour te remercier de tes dons infinis.
Nous arrachons tes fleurs et détruisons tes nids.
Nous déracinons l’arbre et tarissons la source
Qui reverdit les champs et les prés dans sa course... « 

Amis, n’attendons pas que le sol forestier
Aux mains des défricheurs soit livré tout entier.
Et restaurons le vieux royaume héréditaire :
La Forêt, poésie et parfum de la terre.
Au plus profond des bois la Patrie a son cœur ;
Un peuple sans forêts est un peuple qui meurt.
Pour que les nôtres soient plus belles et plus grandes,
Conservons la futaie, ensemençons les landes
Et les versans rongés par la dent des troupeaux
Où les rocs décharnés percent comme des os.
Et puissent nos enfans voir, aux saisons futures.
Les chênes et les plus aux robustes ramures
Onduler sur la plaine et moutonner dans l’air,
Pareils aux flots mouvans et féconds de la mer !


ANDRÉ TUEURIET.