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plus d’une fois encore sollicité par le désir de croire ; le fait est qu’il a, jusqu’à une époque assez avancée de sa vie, tourné autour de la religion. Et toute son intelligence n’aurait pas fait de lui l’auteur de Port-Royal, s’il n’avait connu par lui-même, et retrouvé, dans les premières impressions auxquelles son âme s’était ouverte, la douceur et la force de l’émotion religieuse.

Mais il quitte Boulogne, il arrive à Paris ; son compatriote Daunou, ancien oratorien retourné contre l’Église, s’intéresse à lui et l’oriente dans le sens de son propre scepticisme. En même temps qu’il achève son année de philosophie, il fréquente l’Athénée, où régnait le plus pur esprit condillacien : il y suit les cours de physiologie, de chimie, d’histoire naturelle. Il prend connaissance des travaux de Cabanis, est présenté à Tracy. Il a dix-huit ans ; il est possédé par cette fièvre d’émancipation que connaissent tous les jeunes gens et qui les fait adhérer de toutes leurs forces à la doctrine quelle qu’elle soit qui se présente à eux sous une apparence libératrice. Nul doute que l’enseignement de l’Athénée, qui aussi bien trouvait dans l’esprit du jeune homme un terrain propice, n’y ait déposé les germes d’un scepticisme destiné quelque jour à envahir tout l’être. Puis Sainte-Beuve passe par l’École de médecine. Est-il vrai qu’il lui doive, comme il lui en a fait hommage, « l’esprit de philosophie, l’amour de l’exactitude et de la réalité physiologique, le peu de bonne méthode qui a pu entrer dans ses écrits même littéraires ? » En tout cas, il lui doit certaines touches de son Joseph Delorme, qu’on appellera justement un « Werther carabin » et c’est à ces études qu’il faut rapporter l’importance qu’il attachera toujours au tempérament physique, à l’état de maladie ou de santé des écrivains. Dubois, qui avait été son professeur, le fait entrer au Globe ; et il ne se trouve pas dépaysé dans ce journal libéral, anti-catholique, classique au fond, mais qui, distinguant entre le classicisme de la belle époque et sa moderne parodie, se montrait favorable aux novateurs.

Un hasard le met en relations avec Victor Hugo. Quoique celui-ci soit à peine plus âgé que lui, désormais il va, pour quelques années, subir la domination de son génie, graviter dans l’orbite de l’astre dont il s’est fait le satellite. L’élève de Daunou et de Tracy, le carabin matérialiste, le doctrinaire du Globe est introduit dans le cénacle catholique et romantique. « J’y étais assez antipathique, a-t-il dit, à cause du royalisme et de la mysticité que je ne partageais pas. » Il partagea bientôt la mysticité, sinon le royalisme. Et on pourra parler de conversion au sens religieux du mot. Quelques-unes de ses lettres