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à son ancien ami de pension, l’abbé Barbe, ne laissent sur ce point aucune espèce de doute. Il lui écrit en 1829 : « Mes idées qui, pendant un temps, avaient été fort tournées au philosophisme, celui du XVIIIe siècle, se sont beaucoup modifiées et ont pris une tournure dont je crois déjà sentir les bons effets. » Et, quelques mois plus tard : « Nous nous accorderons mieux sur les idées religieuses. Après bien des excès de philosophie et des doutes, j’en suis arrivé, j’espère, à croire qu’il n’y a de vrai repos ici-bas qu’en la religion, en la religion catholique orthodoxe, pratiquée avec intelligence et soumission. » Sainte-Beuve ne fait pas difficulté d’avouer que, si le retour aux idées chrétiennes a pu renouveler son cœur, il n’a pas réformé ses mœurs ; et la sincérité même de l’aveu nous est une raison de plus pour accepter en entier les confidences de ces lettres intimes. Et c’est bien à Victor Hugo que Sainte-Beuve fait honneur de la révolution qui s’est accomplie en lui et l’a ramené de si loin. Il l’en remercie dans la préface des Consolations : « Le devoir de l’ami clairvoyant envers l’ami infirme consiste à lui ménager cette initiation délicate qui le ramène d’une espérance à l’autre, à lui rendre d’abord le goût de la vie, à lui faire supporter l’idée de lendemain ; puis, par degrés, à substituer pieusement dans son esprit, à cette idée vacillante, le désir et la certitude du lendemain éternel. Tel est, mon ami, le refuge heureux que j’ai trouvé en votre âme. Par vous, je suis revenu à la vie du dehors, aux mouvemens du monde et de là, sans secousses, aux vérités les plus sublimes. » Sainte-Beuve ramené à la religion par Hugo, ce n’est sans doute pas une des moindres curiosités de cette époque lointaine. Plus complète encore est la conversion littéraire de Sainte-Beuve. C’est le temps où il publie le Tableau de la poésie française au XVIe siècle, à la manière de ces complaisans faiseurs de généalogies, pour trouver à ses amis des ancêtres de bon renom et de souche bien française ; c’est celui où il médit de Boileau et de Racine, où il embouche la trompette en l’honneur de chaque nouvelle œuvre de Hugo et, suivant le mot de Henri Heine, proclame en celui-ci le buffle du romantisme.

Cependant la révolution de 1830 cause dans les esprits un ébranlement profond : Sainte-Beuve ne peut manquer d’en être troublé. Ses instincts démocratiques se réveillent : il est en quête d’une religion humanitaire : il la trouve dans le Saint-Simonisme auquel il adhère tout de suite avec une ferveur de néophyte. « On se jettera en larmes dans les bras de Saint-Simon, écrit-il ; on se hâtera vers l’enceinte infinie où l’humanité nous convie par sa bouche et où l’on conviera en