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d’Auguste Comte. Il ne se résigne pas à l’idée qu’on ait pu voir en lui un élève ou un continuateur du positiviste français. Cent fois il revient là-dessus, multipliant les preuves de fait et les raisonnemens, alléguant son ignorance du français, énumérant une à une les théories de Comte qui ne se retrouvent point dans son propre système ; et d’ailleurs, il faut bien l’avouer, ne nous offrant pas un seul argument qui vaille à nous convaincre. Car de ce que, sur maints points, il ait différé de Comte, et même de ce que jamais il ne l’ait lu en entier, nous ne voyons pas qu’on doive conclure nécessairement qu’il n’ait point connu les grandes lignes de la doctrine de Comte, et qu’il n’en ait point subi l’influence. Combien d’hommes, aujourd’hui, sont évolutionnistes sans avoir lu une seule ligne de Darwin ou de Spencer ! Et qui d’entre eux s’aviserait de prétendre, cependant, qu’il ne doit rien à ces deux penseurs ?

Mais, par-dessous les argumens, la protestation indignée de Spencer se fonde sur la conscience qu’il a du néant de toute œuvre philosophique autre que la sienne. Lui seul, — il nous le dit en propres termes, — a découvert le critérium définitif de la certitude ; lui seul nous a fourni une explication raisonnable de tous les problèmes de la nature, une explication ayant le double avantage de s’adapter à l’ensemble des phénomènes et d’être en accord avec l’expérience. Et, depuis la métaphysique jusqu’à la politique, il n’y a pas un domaine où il ne prétende avoir raison, eût-il contre lui l’unanimité des hommes de son temps et de tous les temps. C’est de quoi ses jugemens sur les artistes nous fournissent une illustration tout à fait typique. De la même manière, en effet, qu’il ne supporte point qu’on prononce à son sujet le nom d’Auguste Comte, il ne supporte point que l’on doute de la sûreté de son goût en matière d’art. Toute sa vie, il a passionnément cherché la beauté ; et le fait est que, deux ou trois fois, il a eu le bonheur de pouvoir la trouver. Le Palais de Cristal de Sydenham, par exemple, l’a toujours émerveillé. « Sa beauté a vaincu toutes mes prévisions, nous dit-il. C’est un royaume féerique, un miracle dépassant tous les autres. » Pareillement, en peinture, les paysages de J. B. Pyne, et un Combat de Taureaux de Burgess, lui ont donné l’impression d’une beauté parfaite. Mais d’autant plus il s’indigne de voir l’enthousiasme factice des prétendus connaisseurs pour des œuvres foncièrement dépourvues de tout intérêt et de tout mérite, comme le Don Juan de Mozart, le plafond de la Chapelle Sixtine, le Tournoi de Rubens, la Transfiguration de Raphaël, la Leçon d’anatomie de Rembrandt, ou encore les frontons du Parthénon,