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qui allait encore fort bien, rue aux Arbres, à partir du moment où on y planta des ormes, auxquels ont succédé les platanes, rue Brutus et rue de la Convention — on voit assez à quelle époque, — puis rue Monsieur, « par un juste retour des choses d’ici-bas, » enfin cours Lafayette, lorsque triomphèrent définitivement l’habit bleu barbeau, le pantalon blanc à sous-pieds et le toupet symbolique du plus bourgeois des aristocrates.

Pour le haut du cours, une appellation particulière a longtemps subsisté. Il y avait là un recoin favorable, le soir, aux tendres entretiens, que l’on baptisa « pavé d’amour » — et le nom était joli. Mais enfin on n’y pouvait tenir, sur ce pavé, que des propos en l’air… Quand Toulon agrandi, enrichi, vit corrompre l’innocence de ses mœurs, le pavé d’amour ne put suffire à ses exigeans célibataires : une maison vint, puis deux ou trois, puis tout un quartier, hélas !… Chastes jouvencelles d’antan, qu’êtes-vous devenues ?…

Au bas, c’est autre chose : il y avait à deux pas de la vieille darse un couvent de Récollets avec une petite église poupine du XVIIe siècle. Convertie en « temple décadaire, » en 1792, cette église fut le siège du club des Jacobins. Le pauvre cours Lafayette vit à cette époque de cruels spectacles : en juillet 1792, la populace y massacra une douzaine de braves gens, dont le procureur général syndic et, ce qui est significatif, le geôlier-chef des prisons. Dix-huit mois plus tard, c’était le bombardement de l’armée de la Convention qui faisait des victimes. On montre encore, au n° 89, un boulet tiré du fort Lamalgue qui resta encastré dans la façade de la maison. Ce bombardement, toutefois, fut moins vif et tua moins de monde que celui des Austro-Sardes, en 1707. Les commissaires de la Convention se rattrapèrent quelques jours plus tard en fusillant des centaines de pauvres diables qui n’avaient commis d’autre crime que d’assister à la tentative de contre-révolution. Les meneurs avaient fui, comme toujours, et le brave Dugommier le criait, indigné, à Fréron. Mais tout était inutile : il y a des momens où l’homme veut tuer, où la bête féroce reparaît, où c’est le mort qui parle, le mort d’il y a huit ou dix mille ans.


23 septembre. — Ma foi ! il est bien vrai qu’on s’instruit tous les jours, et me voici lancé dans la zootechnie. Je tâte des bœufs, venus des quatre points de l’horizon, des bœufs « de pays, »