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mémoire. Il n’est pas un d’eux ou de leurs pères qu’il n’ait terrassé dans quelque combat.

La scène est de grande allure, le dialogue, d’une belle verve jaillissante et pressée. Un à un, les Ulates, contraints de confesser tacitement leur honte, courbent la tête et se rassoient. « Cêt a humilié toute la province d’Ulster. » Toute ? Non pas. A l’instant le plus solennel, alors que l’angoisse des vaincus est à son comble et que déjà le vainqueur fait le geste de planter son couteau dans la chair fumante, voici paraître subitement le convive inattendu, l’hôte sans qui l’on avait compté, — Conall, surnommé le Triomphateur. L’espérance rentre au cœur des Ulates : de joie, Conchobar agite en l’air sa couronne. Et Conall s’informe : « C’est à nous à faire nos parts : qui les a faites ? » On lui désigne Cêt, debout au milieu de la salle. D’une voix assurée, il prononce la phrase sacramentelle : « Est-il juste, Cêt, que ce soit toi qui découpes le cochon ? » Une nouvelle et puissante source d’émotion tragique va naître de la rencontre de ces deux hommes. On trouverait difficilement au théâtre un « duel » plus saisissant. Si brève que soit la scène, les phases en sont nettement graduées, jusqu’à l’effet final. Qu’on se représente donc les deux guerriers face à face, séparés seulement par le gigantesque porc rôti, cause du litige, dont la fumée odorante les ennuage. C’est d’abord sur le mode lyrique qu’ils s’interpellent. Cêt chante :


Salut, Conall,
Cœur de roche !
Sauvage ardeur, feu guerrier !
Tu as l’éclat du cristal,
Ton sang bout de colère,
Cœur de lion !
Couvert de blessures, toujours victorieux,
Le fils de Findchôem s’est dressé devant moi.


Et Conall reprend :


Salut, Cêt !
Cêt, fils de Maga,
Noble héros !
Cœur de cristal !
Beau comme un cygne !
Vaillant guerrier, très vaillant,
Océan courroucé,
Beau taureau en fureur,
Cêt fils de Maga !