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conclusion. C’est par ce geste seul, délicieux de grâce et de sobriété, qu’il était nécessaire et suffisant de finir.

Mais, la fin exceptée, l’œuvre de M. Massenet est une chose charmante. Dans une forme, ou sous des espèces légères, elle contient à la fois la poetical et la practical basis, comme disent nos confrères anglais : ce que nous appelons, nous, le sentiment et le style d’un grand artiste qui ne fut jamais lui-même (je songe à ce qu’il y a de meilleur en lui) avec plus d’abandon et de naturel, plus d’aisance et de sincérité.

Le sujet du Jongleur ne comportant pas de figure féminine, le musicien de Manon, d’Esclarmonde, de Thaïs, de Sapho, de Grisélidis, a dû pour une fois renoncer à l’amour. Il a bien supporté cette abstinence. Mais, à défaut d’amour, sa musique a su trouver encore le moyen de s’envelopper, de s’imprégner de tendresse. Tendresse religieuse d’abord, et religieuse avec simplicité, avec pureté, c’est-à-dire avec des mérites ou des vertus peu communes. On ne relèverait dans le présent ouvrage ni une exagération, ni une équivoque. Le rôle entier de Jean ne contient pas la moindre faute de goût, pas la plus légère erreur de sentiment ou de langage. Alors même que la dévotion, — comme il arrive une ou deux fois, — s’y élève, s’y échauffe jusqu’à la passion véritable, celle-ci demeure sacrée, et, par exemple, à la fin de la chaleureuse invocation : Vierge, ô mère d’amour ! il suffit de la franchise d’une modulation et d’une cadence, non pas certes pour en éteindre ou seulement pour en refroidir, mais pour en sanctifier la ferveur.

Au-dessous de cette page qui forme en quelque façon le sommet lyrique du rôle, il y aurait à noter mille traits, mille nuances, qui dessinent le caractère et le colorent, qui lui donnent, jusque dans le détail et par le détail même, la vérité et la vie. Au premier acte, ce sont les excuses du jongleur à la Vierge, débitées ou balbutiées timidement sur un contre-chant d’orchestre gros de soupirs et de regrets ; c’est, au second acte, un épisode analogue et plus développé : c’est Jean se déclarant le dernier et le plus indigne, au moins le plus inutile de ses frères. Ceux-ci lui répondent en se moquant et la scène, traitée en dialogue, sur des modes et des rythmes changeans, forme un petit chef-d’œuvre tantôt d’ironie indulgente et tantôt de naïve contrition. Il arrive même que de moindres choses n’aient pas moins de signification. Louons, — ce sera justice, — l’aimable et pittoresque légende de la sauge, de la fleur plus modeste et plus secourable que la rose, qui ne refusa pas, comme sa sœur orgueilleuse, d’ouvrir sa corolle pour y recevoir l’enfant divin et fugitif. Mais signalons surtout, au