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cours de la gracieuse ballade, ce peu de mots de frère Jean : Oh ! miracle d’amour, posés à la fin d’une strophe, sur des harmonies recueillies, sur une note de cor lentement évanouie. On donnerait peut-être le joli Noël tout entier pour ces trois seules mesures, pour ce soupir d’extase, pour la résonance infinie de ce mystique et mystérieux Amen.

Le « milieu, » — comme on dit et comme il ne faudrait pas dire, — s’accorde finement avec le principal personnage. Hormis une querelle de moines, insignifiante et qui languit, sur les mérites comparés des différens arts, les scènes de couvent sont traitées avec infiniment de goût. Et tandis que se développaient, sous les arceaux du cloître, les polyphonies ou les unissons graves et doux, nous faisions une réflexion qui vient à son heure, venant à l’heure où la question de l’art liturgique est vivement débattue : c’est que la musique d’église au théâtre est souvent d’église beaucoup plus qu’à l’église même. Et cela mériterait une étude, voire une démonstration, que nous tenterons peut-être un jour.

Œuvre de piété sincère et délicate, l’œuvre de M. Massenet est de pitié aussi, d’une discrète, mais cordiale, mais profonde pitié. On dirait que l’amour, plutôt que de se laisser bannir de sa musique préférée, a pris, pour demeurer en elle et pour en être le charme encore, sa forme la plus pure, celle de la compassion et de la charité. Je ne sais quel courant de sympathie et de tendresse est sensible d’un bout à l’autre de la partition. Il ne s’étale nulle part, mais partout il circule et constamment il affleure. L’opéra s’achève sur ces paroles : « Heureux les simples, car ils verront Dieu. » Mais quand on se rappelle, éparses dans le rôle du gentil héros, tant de phrases plaintives ; moins que des phrases parfois, des intonations, des accens qui touchent et qui pénètrent ; quand on relit surtout l’adorable homélie du prieur (au premier acte), qui semble une fleur brisée que relève une main délicate, on estime alors que la partition pourrait. aussi bien porter pour épigraphe une autre des Béatitudes : « Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés. »

Tendre et pieuse tour à tour, quand ce n’est pas ensemble, cette musique ne tombe jamais ni dans la religiosité ni dans la sensiblerie. Loin de languir ou de larmoyer, elle rit volontiers, elle marche, elle court ; elle a le mouvement, la clarté, la verve et la vie, et le premier acte de Manon n’est pas plus animé, plus brillant, populaire avec plus d’entrain et plus d’éclat que le premier acte du Jongleur.

Et maintenant, s’il fallait passer de l’étude en quelque sorte