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il était permis de croire qu’elle pouvait offrir un appui, tandis qu’au contraire ses efforts ne pouvaient qu’accélérer sa propre chute. Il est bien plus aisé de juger après l’événement que de le prévoir, et tel qui blâme après dix ans la conduite d’un autre eût peut-être fait encore plus de fautes que lui, s’il se fût trouvé à sa place. Cette réflexion doit, à mon avis, nous rendre très circonspects sur les jugemens que nous portons sur ceux qui se trouvent dans des circonstances extrêmement difficiles, telles que celles où était alors Marie-Antoinette. On lui fait un crime de son attachement au cardinal de Loménie, et celui de Charles III, roi d’Espagne, pour le marquis de Squilacci, qui n’était pas un plus habile ministre, honore la mémoire de ce monarque. Il est vrai que le marquis de Squilacci a laissé la réputation d’un homme intègre, mais il ne serait pas juste d’oublier qu’à l’époque dont je parle, l’abominable caractère du cardinal de Loménie ne s’était pas encore développé comme il l’a fait depuis.

La disgrâce de ce ministre fut suivie du rappel de M. Necker. Le Roi et la Reine, dans cette occasion, firent céder leur sentiment à la voix publique et ils résolurent de remettre, pour ainsi dire, les rênes de l’État entre les mains de l’homme qui passait pour être seul en état de les tenir. La Reine, qui savait bien que M. Necker pourrait à peine souffrir d’avoir le Roi lui-même pour supérieur et qui ne voulait pas avilir sa propre dignité, se retira alors des affaires, et, quoique la confiance du Roi en elle n’eût pas varié un seul instant, elle ne s’occupa plus que des soins maternels. La cruelle perte qu’elle fit de son fils aîné redoubla, s’il est possible, sa tendresse pour les deux enfans qui lui restaient. Elle ne put recueillir le fruit de ses soins, mais si le fer des bourreaux, ou plutôt des assassins, n’eût pas tranché sa vie, si elle eût pu survivre à son époux et à cet aimable enfant qu’elle chérissait si tendrement et qu’elle s’accoutumait à respecter comme son Roi[1], elle oublierait peut-être aujourd’hui une partie de ses

  1. Marie-Antoinette avait l’âme trop élevée pour ne pas sentir que les attentats des rebelles n’avaient pu atténuer les droits de son fils ; on peut se rappeler que, dans son procès, on osa lui reprocher de le traiter en Roi, et j’ai été frappé en lisant le billet adressé à Louis XVIII, qui se trouve à la fin de l’ouvrage de M. Cléry, de voir que le jeune Roi eût signé Louis et non pas Louis-Charles qui étaient ses noms de baptême. Cette signature est le seul acte de royauté de Louis XVII et ce fut sans doute dans cette vue que sa courageuse mère le lui fit faire ainsi, se rappelant que Louis XVI avait, à son avènement à la couronne, retranché de la sienne le nom d’Auguste, qu’il avait reçu au baptême, et qu’il avait toujours signé jusqu’à ce moment. — Note du Roi.