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malheurs en voyant sa fille, cet unique et précieux rejeton du vertueux Louis XVI, qu’elle avait commencé à élever, qu’un ange (Madame Elisabeth) a achevé de former et sur lequel la Providence a veillé d’une manière si visible, inspirer et mériter l’amour de tous les Français et de tous les étrangers qui la connaissent.

Une fois cependant encore, Marie-Antoinette se mêla d’une affaire importante, et je vais en parler avec d’autant plus de satisfaction, que cela me donnera aussi l’occasion de discuter un des principaux reproches, que ses ennemis lui aient faits.

La guerre s’étant allumée en 1788 entre l’empereur Joseph II et la Turquie, ce prince, qui se prétendait attaqué, réclama l’assistance de Louis XVI, en vertu du traité de 1756. La plupart des ministres pensaient qu’il fallait accéder à sa demande, soit qu’ils crussent en effet que c’était le casus fœderis, soit, qu’ils jugeassent que ce serait faire une diversion utile à la fermentation qui était déjà si grande en France. La Reine, qui n’assistait plus, comme par le passé, aux conférences des ministres, mais que la confiance du Roi tenait au courant de toutes les affaires, pensa tout différemment. Elle sentit que, dans les circonstances du moment, la guerre achèverait de combler les malheurs de la France et qu’indépendamment du tort qu’elle causerait à l’État, elle en ferait un irréparable au Roi lui-même. Elle s’en expliqua ainsi avec lui ; mais, ne se fiant pas entièrement à son propre crédit, elle ne dédaigna pas de recourir à celui de M. Necker qu’elle vint à bout de persuader, et la guerre ne fut empêchée que par ce moyen.

Cette anecdote, que je tiens de source, réfute victorieusement les déclarations de ceux qui se sont plu à dépeindre Marie-Antoinette comme n’aimant que son pays natal, haïssant la France et préférant ses frères à ses propres enfans. Elle aimait sans doute ses parens et sa patrie ; mais elle leur préférait son époux, ses enfans et le pays qui était devenu le sien. Quel autre sentiment eût pu la déterminer à combattre une résolution qui assurait le succès de son frère, qui resserrait les liens des deux États, et qui offrait même pour le moment une perspective avantageuse ? Faudra-t-il, après un pareil fait, répondre sérieusement aux trésors envoyés à l’Empereur, au comité autrichien, et à tant d’autres calomnies absurdes, inventées depuis la Révolution ? Non sans doute ; ce serait faire trop d’honneur à leurs inventeurs et trop d’injure au jugement de mes lecteurs !