Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 22.djvu/387

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

disions cela avec Mickiewicz ; le seul jour où je l’aie vu. Vous vous imaginez que c’est je ne sais quoi qui fait qu’on perd le sentiment du reste ; il y a dans Paris, quand on le pratique beaucoup, une espèce d’empoisonnement insensible et profond qui fait qu’on ne peut guère vivre et se supporter ailleurs ; mais, quand on est à Paris, on ne sent pas cela, et on s’imagine toujours que le reste est mieux ou qu’il y a des plaisirs inconnus. On ne rit donc pas des autres lieux, on en parlerait plutôt avec enthousiasme, — durant un soir au moins. — Quant à moi, je ne suis pas ainsi, j’en parle un soir et tous les soirs et tous les matins, ou mieux j’y pense, tout empoisonné que je suis jusqu’à la moelle. Au fait, je souffre ; ma santé est très mauvaise, et ma débilité de poitrine est revenue. Je suis tenu à cette bibliothèque, et, par elle, au monde, qui sait que je suis là et qu’on m’y peut saisir. Je ne vois pas trop jour à ma délivrance, parce que je ne me sens plus capable de gagner ma vie comme auparavant par des coups de collier ou de main dans quelque journal. Mes besoins, de plus, sont augmentés et sont devenus plus aristocratiques, effet naturel de l’empoisonnement ! Voilà des misères, ayez-en pitié et n’en riez pas à votre tour ; mais pourquoi vous dire cela ? Je sais bien que non, et que vous y saurez compatir.

Votre misérable gouvernement républicain va donc remettre en cause l’Académie : tous les ans ou deux ans, sans doute, cette chance va se poser : c’est à dégoûter.

Le second article de M. Vinet sur Soumet est quasi ridicule de révérence ; j’en suis bien fâché. Ce Soumet est un fou et un cerveau creux, un plâtre (Bellum Caput) ; demandez à Olivier, Madame. Il n’y a dans tout ce prétendu succès que du charlatanisme, et rien autre du tout[1].

J’ai vu M. Delâtre qui m’a paru assez bien, mais je n’ai pu le chercher encore. Eynard vous aura parlé de nous : il a vu Paris en trois mois de la meilleure place et comme si on l’avait choisie. Tout défilait devant lui à la table de son oncle, qui est riche, et un bon riche.

Le Malgache est, je crois, ce que vous me demandez s’il l’est ? Il est de province, c’est déjà une garantie. Il a voyagé beaucoup-et seul à pied, supportant les fatigues, aimant la nature. Mme Sand

  1. Du charlatanisme, c’était beaucoup dire, mais il est certain que la Divine Épopée de Soumet, malgré les très beaux vers qu’elle renferme, ne méritait pas les quatre articles que lui consacra Vinet.