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les déclamations de principes et de tous les appels à la violence qui ont excité à l’émeute les acteurs de nos journées de 1830, 1848, 1851, 1871 ; élucider les mobiles profonds, — inconsciens ou délibérés, — d’un Lorenzaccio, c’est donc en un certain sens faire la critique des nôtres, soit que l’assassinat des tyrans nous paraisse recommandable, soit qu’il nous répugne. Mais il semble bien qu’il faille, au préalable, connaître en leur détail essentiel les mœurs, dits et gestes d’un tel héros.

En général, nous ne savons rien de lui avec précision. Il est vrai que nous aimons l’histoire, mais que son contrôle par l’érudition nous ennuie ; que nous aimons la vérité, mais que la recherche de l’exactitude nous paraît l’occupation exclusive des paléographes ; et, bref, que nous sommes un peuple de moralistes, plus occupés de la figure et du sens des gens et des choses, que de leur machine et de leur évolution dans l’espace et dans le temps. Mais il est aussi vrai que nul, jusqu’à présent, ne nous avait offert l’occasion d’apprendre si le Lorenzaccio du poète romantique est le même que celui de l’historien : Musset écrivit son drame en 1833 ; et la minutieuse biographie de M. Pierre Gauthiez ne date que d’hier. Telle est, sur notre mémoire, l’empreinte d’une première image, quand elle est vraisemblable et que la magie poétique nous l’a présentée, telle est sa persistance, que M. Pierre Gauthiez, déjà le biographe d’un Jean des Bandes Noires, né Médicis, aurait travaillé en vain à nous établir d’après les documens authentiques cette histoire de Lorenzaccio, s’il avait prétendu modifier dans l’imagination de ses contemporains le type populaire qu’y a fixé Alfred de Musset. Par bonheur pour M. Gauthiez, il complète cette physionomie plutôt qu’il ne l’altère. Lorenzaccio en personne a écrit une Apologie de son meurtre ; et Musset en a adopté les motifs. Il nous est seulement révélé aujourd’hui combien de misérables suggestions, étrangères au soin de l’honneur et du salut de Florence, ont poussé à ce meurtre d’Alexandre, et comment Lorenzaccio put se déclarer sincèrement un libérateur national, tout en n’étant au fond qu’un vengeur de sa propre querelle. De plus, le drame de Musset se borne à un exposé des derniers préparatifs de l’assassinat et à son accomplissement, dont il ne laisse que pressentir les conséquences. Mais alors, Lorenzaccio avait vingt-trois ans ; et il survécut douze années à sa victime. Le récit de ces deux longues périodes, celle qui est antérieure et