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courtisans : projet « superbe et rare, » dit à ce propos M. Gauthiez, mais plutôt projet impraticable et enfantin, s’il décelait trop évidemment à tous son but meurtrier. Il est vrai qu’Alexandre, mis au fait de ce plan et de ses visées par son bourreau, se contenta d’en rire et de hausser les épaules avec incrédulité ; et que Lorenzino l’avertira tout aussi vainement à son tour.

L’acteur qui débitait l’argument de sa comédie avait à souligner cette phrase, en italiques dans le texte : « Et bientôt vous en verrez une plus belle de sa façon ! » Un autre acteur vint lancer ce brocart contre le duc qui « allait aux monastères » comme au lupanar : « Aussi n’y a-t-il homme, pour scélérat soit-il, qui n’eût horreur d’avoir affaire aux nonnains. » À ce dernier trait, voyons-nous un homme pieux renier le libertin, comme nous verrons tout à l’heure un homme de courage dépouiller le poltron ? Cette découverte nous contrarierait : il nous plaît mieux de voir nos gens, héros ou monstres, être tout d’une pièce d’un métal sans alliage ; tel est même, aux yeux de plusieurs, l’attrait sympathique du monstre, que Lorenzino perdrait de son prestige s’il était avéré qu’il eût eu à un degré appréciable de sincérité le respect de la religion, de l’ordre social et des vertus domestiques. Mais Florence, tombée si bas alors dans l’abjection, ne relisait-elle pas toujours dans l’espoir de son relèvement, sur la façade du Palais-Vieux, siège de sa Seigneurie, cette dédicace gravée en 1529 : Jesus-Christus Rex florentini populis. p. decreto electus, à peine affaiblie par Cosme Ier qui la modifia ainsi : Rex regum et Dominus dominantium ? Et puis, Lorenzino ne vivait-il pas au foyer de Marie Soderini, qu’il appelle « sa sainte mère, » entre ceux qu’il dit être « ses doux frère et sœurs ? » Que ne saurait aussi nous expliquer la prédominance des chères impressions irraisonnées de l’enfance sur les expériences et réflexions de l’âge viril ? Sur la colline ravissante de Fiesole, souvenons-nous que l’âme de Lorenzino s’est ouverte à la connaissance des choses entre l’abbaye de Saint-Dominiquo et le monastère des Frères mendians de Saint-Jérôme ; que ses yeux s’y sont emplis de la suavité mystique des fresques de l’Angelico ; que des prêtres en qui brûlait encore un peu du feu de Savonarole, il a reçu les premiers conseils d’être un Soderini contre les Médicis, un vrai prince, légitime et populaire, contre les usurpateurs, bâtards et tyranniques ; et que ce fut un moine franciscain qui traça de lui ce portrait singulièrement affectueux