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l’affirmez, j’aurais grand’peine à vous voir injustement pâtir. Et, même si vous en aviez, je sais que j’aurais assez de commodité pour vous faire d’abord à vous ce que vous auriez dessein de me faire à moi. Du reste, selon ma fortune, vous me trouverez aussi grand ami que grand ennemi (16 juin 1541). » En 1542, la présence de Lorenzino à Venise et près de Pesaro est signalée. Il est à Paris en 1543-1544, d’où il tient les deux fils de Philippe Strozzi, devenus ses beaux-frères, au courant de leurs affaires et de la guerre dans les Flandres et en Champagne. Tout se gâta pour lui au 18 septembre 1544, par la conclusion à Crépy-en-Valois d’un traité de paix entre François Ier et Charles-Quint. Abandonné par la France, il ne lui restait qu’à regagner l’asile ordinaire des proscrits, des conspirateurs, des grandes âmes errantes et déçues, — Venise, où Cosme lui tendait un filet. Il y complota, par nécessité d’habitude et d’état. Il y revit Benvenuto Cellini, son « mauvais œil ; » l’artiste allait à Florence travailler pour Cosme, comme il avait fait pour Alexandre, comme il eût fait pour le diable sous condition unique d’en être payé à sa fantaisie. Lorenzino fréquentait de préférence les gens de lettres. L’ignoble Arétin l’espionnait. Le chef de ses assassins était naturellement l’ambassadeur de Cosme auprès du Doge.

Mais il se dérobait à leur poursuite, ne sortant jamais qu’en barque et en des lieux solitaires, la nuit. Il avait des maîtresses, une esclave orientale qui lui donna une fille, Lorenzina, et une patricienne, la Barozza, belle comme Hélène et vertueuse pour tout autre comme Lucrèce. Lorenzino adorait la Barozza. Il habitait avec « sa mère, Marie Soderini, » au Canareggio, du côté du Ghetto, proche l’abattoir, la maison du bouffon Gonnella, laquelle avait issue par un jardin vers Murano, la cité des gentilshommes verriers. Il quitta cette maison pour dépister, par un court voyage à Padoue, les hommes de Cosme qui le crurent repassé en France ou dans le Levant, alors qu’il était déjà rentré à Venise, déguisé, sous les noms de Marc ou de Darius. La belle Barozza lui tenait tant au cœur qu’il se réinstalla ouvertement à deux pas de son palais, dans une vaste demeure impossible à garder et onéreuse au-delà de ses moyens. Pierre Strozzi, qui payait pour lui, se fâcha de cette imprudence folle, réduisit sa pension et sa garde, tandis que Lorenzino augmentait sa dépense et se livrait à la merci d’un serviteur malcontent. Le 9 février 1548, Cecchino de Bibbona et Bebo le manquent.