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soit, ne nous rend pas raison toutefois de l’attrait tout particulier que certains de ces personnages exercent sur des imaginations françaises. Lorenzino ne nous suggestionne pas à la façon d’Hamlet, par exemple. A celui-ci, nous prêtons plutôt de nos sentimens ; nous empruntons plutôt des siens à celui-là. C’est qu’Hamlet est une création poétique et saxonne, — deux fois vague, — et que Lorenzino fut une créature réelle et latine, — deux fois précise. — Mais il est d’autres motifs encore de notre prédilection pour ce dernier. Voici le moment de les dégager ; autrement dit, selon la formule de Taine, citée par M. Gauthiez, de tirer du récit de l’existence de Lorenzino les vérités qu’il nous a rendues manifestes. Non pas toutes, mais les plus générales, et, de préférence, celles qui, en nous débrouillant la complexité du caractère de Lorenzino, nous rendront plus compréhensibles sa survivance en nous, ses agissemens posthumes et les sympathies qu’une certaine élite française lui devait nécessairement témoigner.


IV

De la biographie de Lorenzino, il ressort, ce nous semble, qu’il naquit marqué fortement à l’empreinte de sa race et de son milieu, et que sa formation spirituelle fut exclusivement renaissante, ou, comme nous dirions aujourd’hui, classique. Sur le premier point, il n’est pas fait application à Lorenzino d’autres lois que de celles qu’il a lui-même invoquées au début de son Aridosia : « Ce que je dis est vrai, et je vous assure que la plupart des mœurs et coutumes de la jeunesse, ou bonnes ou mauvaises, procèdent de leurs père et mère, ou de ceux qui en ont la charge au lieu de père ou de mère. » Et sur le second point, il n’est guère de pages dans le livre de M. Gauthiez qui ne mette en évidence cette saturation du cerveau de Lorenzino par le génie et par les ouvrages des anciens. Mais desquels parmi les anciens ? M. Gauthiez ne distingue pas entre eux. Or, ce fut de ceux-là seulement, précurseurs de la morale du christianisme ou contemporains de ses premiers âges, des siècles de Socrate, d’Auguste et des Antonins, Platon et Plutarque, Virgile et Tacite, Moïses athéniens et romains, qui, en se révélant les premiers au monde moderne comme d’incomparables et parfaits écrivains, lui donnèrent le goût tyrannique de leur perfection formelle, et