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sorte abstraite et généralisée ; ses contemporains n’en ont, pour ainsi parler, que leur part ; ce ne sont presque pas leurs vices à eux, mais ceux de l’homme de tous les temps. Bourdaloue précise davantage. Il se soucie moins de l’homme en général que des hommes en particulier. L’expérience du confesseur et du directeur d’âmes se sent dans ses paroles. Il utilise en chaire sa science du confessionnal. Mais c’est ainsi que sa candeur et sa naïveté lui deviennent des moyens d’action et de popularité ; et c’est une autre raison de l’empressement avec lequel on court en foule à ses sermons. Il est le prédicateur qui « dit tout, » et, si j’ajoutais, avec la langue populaire, qu’il est vraiment « saint Jean Bouche d’or, » on ne m’accuserait pas, je pense, de manquer à sa mémoire, puisque le premier « saint Jean Bouche d’or » fut, dans l’histoire et dans la prédication, le plus illustre des Pères grecs, à savoir saint Jean Chrysostome.

Mais ces raisons, sans être précisément « extérieures, » n’atteignent pourtant pas ce que l’on pourrait appeler le fond de Bourdaloue. Les allusions dont ses sermons abondent n’en sont plus de nos jours que pour quelques curieux de l’histoire des mœurs au XVIIe siècle ; et ni le jansénisme ni le quiétisme ne sont pour nous des questions bien actuelles. Nous ne lui demandons pas non plus les mêmes instructions que les auditoires de son temps. Qu’admirons-nous donc encore, nous, dans ses Sermons ? C’est ce que je voudrais maintenant essayer de dire.


III

Le premier caractère de l’éloquence de Bourdaloue, — le Père Bretonneau l’avait très bien vu, et ne l’a pas mal dit dans la préface de son édition, — c’en est la continuité. « La beauté de ses Sermons ne consiste point précisément en quelques endroits bien amenés, où l’orateur épuise tout son art et tout son feu, mais dans un corps de discours où tout se soutient, parce que tout est lié, et bien assorti. » On n’a réussi jusqu’à présent à dater d’une manière certaine qu’un petit nombre des sermons de Bourdaloue ; mais, si l’on devait un jour parvenir à les dater tous, je doute que l’on pût distinguer des « époques » dans le progrès de son éloquence, ni surtout aucun « progrès, » à vrai dire, dans l’histoire de cette éloquence. Il y en a, je le sais bien, une explication assez naturelle. Quand il a commencé de