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prêcher dans les chaires de Paris, c’était en 1669, et d’ailleurs on ne croit pas avoir de lui de discours qui soit antérieur à 1668 : il avait donc trente-six ou trente-sept ans, l’âge de Bossuet quand il prononçait son sermon, 1674, pour la Profession de Mlle de La Vallière. N’aurions-nous pas, je le demande, quelque peine à distinguer des « époques » dans l’éloquence de Bossuet, si ses plus anciens sermons ne remontaient pas au-delà de 1670 ? et, de fait, le Bossuet de l’Oraison funèbre du Prince de Condé (1687) diffère-t-il beaucoup du Bossuet de l’Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre (1670) ?

Mais ce n’est pas seulement des « époques, » c’est des « inégalités » qu’on discerne aisément dans l’éloquence de Bossuet ; et, par exemple, on ne saurait disconvenir qu’il dépende un peu du choix de ses sujets. Le bon M. Silvestre de Sacy, après bien du travail, avait réussi, sur ses vieux jours, à se convaincre que l’Oraison funèbre de Marie-Thérèse ne le cédait en rien à celle d’Anne de Gonzague, ou d’Henriette de France. Il n’avait convaincu que lui ! Bossuet, poète autant qu’orateur, n’est pas toujours égal à lui-même, et pour l’être, ou pour se surpasser, il a besoin d’un sujet qui l’inspire. Il lui arrive aussi, — et c’est peut-être alors que nous l’admirons le plus, — je ne voudrais pas dire d’oublier son auditoire, mais d’être lui-même saisi ou ravi par la grandeur des vérités qu’il expose, et d’entrer là, devant nous, en contemplation ou en méditation. Il ne saurait parler de la Passion de Jésus-Christ ou de l’Assomption de la Vierge, sans essayer de se les représenter à lui-même, par des traits et avec des couleurs qui lui en rendent le spectacle présent, qui lui en donnent la sensation actuelle. Il ne saurait parler de la Mort ou de l’Ambition, sans faire un retour sur lui-même, et sans s’abandonner à l’entraînement des réflexions presque personnelles que ces grands sujets lui suggèrent. Et de là, disions-nous, des « inégalités, » mais aussi, de là, quelque chose de souverainement libre et d’imprévu dans ses discours. On ne voit nulle part mieux que dans les sermons de Bossuet, à moins que ce ne soit dans ses Panégyriques ou dans ses Oraisons funèbres, la naturelle et première parenté de l’éloquence et du lyrisme. On l’a comparé quelque part à Pindare, et c’était faire à Pindare, — qu’au surplus nous connaissons si mal et nous goûtons si peu, — beaucoup et trop d’honneur. Mais l’indication était juste. Le Bossuet des Panégyriques et de quelques-uns de