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n’aient contribué pour une large part à ses succès de prédicateur. Et qu’elles contribuent enfin, — comme nous l’avons dit de la fécondité de son invention et du caractère pratique de ses sermons, à diversifier tout en la soutenant, — la « continuité » de son éloquence, je me serais bien mal expliqué si l’on ne l’entrevoyait pas.


Je ne nierai point après cela qu’il y ait, — et on l’a déjà dit, — quelque encombrement dans ses plans, de l’excès dans ses divisions, et parfois, mais très rarement, quelque artifice dans ses énumérations. On s’en aperçoit quand on lit de lui, comme l’ont fait avant d’en parler la plupart de ses critiques, cinq, six, huit, dix sermons de suite. Mais, pas plus que les dix ou onze tragédies de Racine n’ont sans doute été faites pour être jouées dans une seule séance, pas plus les Sermons de Bourdaloue, s’ils peuvent être lus, ne doivent du moins être « jugés » dans des conditions qui diffèrent de celles où ils ont été prononcés. C’est ce qu’on a quelquefois oublié. Les sermons eux-mêmes de Bossuet ne résisteraient pas à cette épreuve ; et là même, pour le dire en passant, est l’un des grands écueils de la critique et de l’histoire littéraire. Nous ramassons sous un seul point de vue trente-cinq ans de prédication, et nous défigurons ainsi la réalité du talent ou du génie, qui ne s’est développée que dans le temps, successivement, et sans rien avoir de commun avec les formules de totalisation, si je puis ainsi dire, où nous croyons la résumer. Si nous voulons nous faire une juste idée de l’éloquence de Bourdaloue, lisons donc ses Sermons d’une manière qui ressemble à celle dont ses auditeurs les ont jadis entendus. C’est alors et plus que jamais, maintenant que nous connaissons les sources vives de son éloquence, c’est alors que nous en apprécierons la « continuité. » A quelque moment et, j’oserais presque dire, en quelque état d’esprit que nous le prenions, ce sera toujours la même subtilité, la même finesse de psychologie, toujours la même abondance, la même diversité, la même fécondité d’invention, et toujours les mêmes conseils. Ou, en d’autres termes encore nous reconnaîtrons que cette éloquence est continue de son désintéressement et de son impersonnalité. Non seulement toute rhétorique, mais la personne même de l’orateur en est en quelque sorte absente ; et nous n’avons affaire qu’avec la vérité de ses observations et de son enseignement.