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En même temps, on songeait, à Berlin, à organiser pour le printemps de 1901 une grande expédition destinée à aller chercher, à Si-Ngan-Fou, l’Empereur récalcitrant ; on comptait que, remontant le Yang-Tse, les Anglais, par le Sud-Est, convergeraient vers le même but. Heureusement les puissances intéressées se montrèrent peu disposées à adopter un projet aussi aventureux et cherchèrent les moyens d’y couper court ; ce fut l’une des causes qui les rallièrent autour de la note du 30 septembre[1], où M. Delcassé traçait le programme des satisfactions qu’exigeraient les puissances, et qui les engagèrent, en multipliant les concessions, à hâter le règlement final. Le gouvernement du Mikado, rencontrant déjà, dans la Chine du Nord, la rivalité des Russes, redoutait de voir s’y établir l’influence d’une puissance nouvelle ; aussi, avec un esprit politique qui fait honneur à ses hommes d’État, sut-il surmonter ses défiances vis-à-vis de la Russie, pour accepter sans réserve la proposition du comte Lamsdorf ; il connaissait d’ailleurs trop bien le caractère de la Chine et de son gouvernement pour ne pas comprendre que la solution russe était la seule qui fût une solution. Les États-Unis se rangèrent à la même opinion. De peur d’être entraîné dans une expédition, le gouvernement français de son côté donna, par télégramme du 10 octobre, au général Voyron, la pleine indépendance de son commandement ; il n’avait d’ailleurs jamais été placé sous les ordres du feld-maréchal allemand ; M. Delcassé, gêné par l’adhésion de la Russie à la demande de l’empereur Guillaume, s’était contenté de répondre que le chef du corps français « ne manquerait pas d’assurer ses relations » avec le maréchal de Waldersee. « quand celui-ci aurait pris, dans les conseils des commandans des corps internationaux, la place éminente que lui assurait la supériorité de son grade. » Malgré cette prudente réserve, l’événement n’en montrait pas moins combien l’acceptation, comme généralissime, par la plupart des puissances, d’un maréchal allemand, c’est-à-dire appartenant à la nation qui avait fait Kiao-Tcheou et provoqué par-là le mouvement Boxeur, était impolitique et malhabile ; il n’est pas douteux que la présence du maréchal ait été interprétée comme une menace par l’Impératrice et ses conseillers, et qu’elle ait formé un obstacle à son retour à Pékin et à la pacification.

  1. Voyez cette note au n° 327 du Livre Jaune, et, pour l’arrangement du 16 octobre, Français et alliés au Pe-Tchi-Li, par le général Frey.