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Aux prises avec une rude guerre dans l’Afrique du Sud, l’Angleterre n’a été représentée dans l’armée internationale que par un faible contingent de troupes coloniales ; mais l’activité de sa diplomatie suppléa à cette infériorité militaire et fut à la hauteur de son rôle traditionnel en Chine. Parmi les velléités inopérantes des uns et les vaines agitations des autres, elle seule, fidèle aux directions constantes de sa politique, poursuivit sans hésiter le but qu’elle s’efforce depuis longtemps d’atteindre en Extrême-Orient : assurer sa prépondérance dans le bassin du Yang-Tse, en faire une nouvelle Égypte, et s’opposer au progrès de l’expansion russe[1]. Elle fut d’accord avec l’Allemagne pour contrecarrer le programme du comte Lamsdorf et prolonger un état de trouble et d’anarchie dont elle espérait tirer bénéfice. Ce profit, c’est dans la vallée du Yang-Tse, qu’elle considère depuis longtemps comme sa sphère d’influence, qu’elle tenta de le trouver ; le 18 août, on apprit que, sous prétexte de protéger les concessions européennes à Shang-Hai, contre de problématiques Boxeurs, l’escadre anglaise avait débarqué 3 000 soldats et que d’autres allaient suivre ; le moment était bien choisi et la manœuvre habile. Heureusement la France intervint énergiquement ; M. Delcassé donna ordre à l’Amiral-Charner de mettre à terre immédiatement sa compagnie de débarquement ; un bataillon du Tonkin et une batterie d’artillerie arrivèrent quelques jours après ; les Allemands et les Japonais suivirent l’exemple de la France. Shang-Hai eut beaucoup plus de troupes qu’il n’en fallait pour le défendre contre les Chinois, mais du moins, la protection fut internationale, et les Anglais ne purent s’en prévaloir, comme d’une hypothèque prise sur les provinces du Yang-Tse pour y créer une zone d’influence britannique. Quelques mois plus tard, après de longs pourparlers, toutes les puissances retirèrent simultanément leurs troupes. L’Angleterre, cette fois, avait manqué son coup.

Les scrupules de M. Delcassé, les hésitations du gouvernement russe pour imposer ses vues aux autres puissances, l’opposition très nette des chancelleries de Berlin et de Londres ne permirent donc pas au comte Lamsdorf de prendre la direction du « concert européen » et d’appliquer sa politique ; c’en fut

  1. Cependant, par la convention du 28 avril 1899, l’Angleterre s’était engagée à se désintéresser de ce qui se passerait au nord de la Grande Muraille, tandis que la Russie renonçait à s’occuper du Yang-tse et de la Chine méridionale.