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Préoccupé d’éloigner le théâtre de la guerre et d’empêcher les confédérés du Rhin de tomber sur les provinces autrichiennes, prévoyant, du même coup, que ces États, le moment venu, changeraient volontiers de confédération, Metternich engageait les principaux d’entre eux à temporiser, à tirer en longueur leurs arméniens, bref à filer leur défection. Il attire le roi de Saxe, honnête et borné, dans le filet de l’intervention. « Si le roi de Wurtemberg, écrit-il à, Binder, à Stuttgart, se presse de porter ses forces à un état de disponibilité, il augmente à la fois les chances de sacrifices pour ses propres États et celles de la continuation de la guerre. » En passant à Munich, l’ambassadeur d’Autriche en France, qui rejoint son poste, tiendra un langage analogue. « La France n’est-elle pas assez forte dans ses limites du Rhin pour avoir besoin d’autres titres à son influence en Allemagne ! ? L’état actuel des choses ne peut plus durer. Il faut des sacrifices de la part de l’empereur Napoléon. »


IV

Alexandre avance vers l’Occident, en triomphateur du monstre, restaurateur des rois, affranchisseur des peuples. Il marche dans son rêve de 1804. Napoléon est atterré, la France en déroute, la Grande Armée détruite, la Révolution refoulée. L’hégémonie passe au petit-fils de la grande Catherine, à l’héritier de Pierre le Grand. Les questions posées entre Alexandre et Napoléon deviennent des questions européennes. Alexandre les réglera, avec l’Europe, pour et par la Russie. La, paix du continent est désormais une affaire russe. L’enchantement où se trouve Alexandre ne lui fait point perdre de vue les réalités. Ce héros regarde à ses pieds. Il y voit la Pologne, et la prise de ce pays est, comme en 1804, le premier article de son plan de reconstruction de l’Europe. Mais il y trouve, dans son entourage, une vive opposition. « La mesure serait éminemment antinationale en Russie, » écrit Nesselrode au tsar : il faudrait sacrifier, « au seul plaisir de satisfaire les fantaisies de cette nation légère et inquiète, » les territoires attribués à la Russie par les trois partages, de 1779 à 1795. Enfin, pour reconstituer la Pologne, il faudrait compenser à l’Autriche et à la Prusse ce qu’on ne leur rendrait point et ce qu’on leur devrait demander. On soulèverait, au moment de renouer la coalition, cette