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permirent de mesurer les progrès faits par cette propagande. Partout, dès 1868, la masse des ouvriers se prononçait pour la lutte politique et l’alliance avec les révolutionnaires.

Nul plus que les révolutionnaires de France n’avait travaillé à ce résultat. Pour eux surtout, persuadés que la nation sans mœurs publiques et sans autorités sociales était à prendre, que le nom de Napoléon était toute la charte de l’Empire, et que, s’ils abattaient un homme, ils devenaient maîtres d’un peuple, avoir ou perdre l’armée des émeutes, était être ou n’être pas. Et si les prolétaires français, comme ceux de tous les pays, étaient attirés vers le socialisme d’Etat par leur pauvreté fatiguée d’épreuves et lasse d’incertitudes, ils étaient accessibles à la violence par des particularités d’instincts et d’intelligence. En France, il ne suffit pas, pour gagner le peuple, de servir ses intérêts, il faut satisfaire son imagination. La République restait chère aux ouvriers, et dans les ateliers parisiens se conservaient, comme une légende d’héroïsme, les souvenirs des barricades. Les nouveaux chefs qui voulaient détacher leur cause des causes politiques, et cherchaient, par un effort lent, consciencieux, obscur, à affranchir leur classe, ne donnaient rien à cette imagination. Trop impassibles, ils laissaient froide la multitude, et par suite n’avaient pas attiré des adhésions assez nombreuses et recueilli des fonds assez considérables pour se donner le prestige d’aides immédiates et efficaces aux grévistes dans les conflits avec les patrons. A défaut d’amis aussi sûrs, la masse ouvrière trouva des amuseurs plus entraînans, lorsque les chefs « irréconciliables » jouèrent pour elle, sur les tréteaux des réunions publiques, la parade de la liberté. Autour des prolétaires le silence ne fut plus seulement celui de l’étude, mais celui de l’abandon. Trop sages, ils devenaient suspects ; pour ne pas se déclarer ennemis de l’Empire, il fallait qu’ils fussent ses agens. Ces calomnies finirent par avoir raison de leur courage. Enfans de Paris, ils ne purent résister au mot de République. Enfin entre la bourgeoisie révolutionnaire et eux, il y avait une communauté de passion incroyante : ce lien avait été le premier, resta le plus fort, et la complicité des haines religieuses prépara la complicité des haines politiques.

Dès qu’elles eurent ensemble été proclamées par les congrès de l’Internationale, les ouvriers français, comme par un plébiscite ratificatif, se firent inscrire nombreux dans la société. Fermée