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élections nouvelles, on affirmera qu’elles retarderaient l’œuvre de la défense ; les dépositaires provisoires du gouvernement seront libres de supprimer, avec les Conseils généraux et les Conseils municipaux, toutes représentations de la volonté générale, sous prétexte qu’elles ont été faussées par la pression du régime déchu ; et, toujours sous prétexte d’épargner du temps, ils les remplaceront par leurs amis. De cette sorte, sans que la France ait parlé ni protesté, toutes les autorités seront occupées par ceux qui avaient le moins à compter sur ses suffrages. Alors, mesurant leurs audaces à la passivité des multitudes rurales et aux sommations des minorités urbaines, ces détenteurs révolutionnaires du pouvoir commenceront à satisfaire leurs griefs contre l’armée, la magistrature, l’église, la richesse. Si le régime dure assez, ils dompteront par les nouvelles habitudes la seule résistance qu’ils aient à craindre, la révolte silencieuse des traditions, opposeront au sentiment public la puissance des faits accomplis, et, par l’audace d’un jour, auront pris pour longtemps hypothèque sur l’avenir.

Cette minorité faible par le nombre, mais résolue, va partout en France, après le 4 septembre, prétendre au pouvoir, partout réussir, et substituer, à la défense de la France, l’avènement d’une faction.


V

Les premières proclamations du gouvernement apprirent, dès le 4 septembre, à la France, qu’elle avait par une volonté unanime détruit la tyrannie impériale. Pour connaître combien diffèrent la vérité officielle et la vérité vraie, il suffisait à chaque Français de voir autour de lui et en lui. Mieux encore le regard apaisé de l’histoire discerne-t-il que la France n’eut alors de volonté ni pour faire, ni pour empêcher, et qu’elle fut absente de l’œuvre accomplie en son nom. Les différences de caractère qui distinguent chaque province et l’inégalité des périls que la guerre apportait aux diverses régions mettent seulement une variété de détail dans l’ensemble des faits, partout semblable, et tout prouve combien il faut peu d’hommes pour mener les hommes.

Dans l’Alsace et la Lorraine, le changement du régime fut presque inaperçu. Où la défaite était l’invasion de la province, de la cité, du foyer, les épreuves devenaient si proches