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et si rudes qu’elles envahissaient à leur tour toutes les pensées, Changer de gouvernement n’importe guère à qui se demanda s’il lui faudra changer de patrie. L’angoisse encore règne, et règne seule dans les régions qu’atteindra demain la marche déjà commencée des vainqueurs en Champagne et dans l’Ile-de-France. Qu’importent les rivalités politiques entre Français et le remplacement des uns par les autres, si demain doit se substituer à tous, comme l’expulseur dernier et le maître durable, l’étranger ? On laisse Paris nommer les nouveaux fonctionnaires, dont plusieurs seront devancés par l’ennemi dans leurs postes : les regards ne se détachent pas du chemin par où est attendu l’envahisseur. Si les Français interviennent, c’est pour rendre justice au patriotisme des autorités qu’ils ont vues tout occupées comme eux de la défense, et souhaiter qu’elles soient maintenues. Ils pensent que si l’on révoque à cette heure et sur ce sol tragiques, les agens familiers avec le pays, ses habitans, ses ressources, on prive les populations envahies et la France même de l’aide la plus précieuse, soit pour obtenir de l’ennemi une occupation moins dure, soit pour aider d’avis sûrs les retours offensifs de notre armée[1]. La passion politique est importée par quelques administrateurs, qui ont obtenu un département en récompense de leur hostilité à l’Empire ; mais ceux-là ont conscience de n’être pas d’accord avec le sentiment général, puisqu’ils demandent à destituer dans toutes les municipalités les élus des communes et à choisir seuls les remplaçans[2]. La plupart des préfets au contraire, plus intelligemment

  1. La commission municipale de Troyes propose le 5 septembre à Paris un préfet « pour le cas où le gouvernement croirait devoir apporter des modifications dans le personnel de l’administration départementale de l’Aube, » mais ajoute que « cette démarche ne saurait être interprétée dans aucun cas comme un acte de défiance contre l’administration préfectorale actuelle, dont le chef a jusqu’au dernier moment rempli consciencieusement son devoir. » Enquête sur les actes du gouvernement de la Défense nationale. Dépêches. Annales de l’Assemblée nationale, t. 25, p. 789.
  2. Le préfet de la Haute-Marne : « Chaumont, 6 septembre. A Langres, à Chaumont et autres communes importantes, il n’y a aucun secours à espérer pour la guerre, des autorités municipales. » — » 15 septembre. Tout se passe bien dans le département. Nous remanions presque toutes les administrations municipales. » — « 16 septembre. J’ai remplacé presque tous les maires et j’ai constitué des commissions au lieu des conseils municipaux hostiles. » — « 17 septembre. La magistrature est l’ennemie la plus naturelle de la régénération qui s’opère. Donc destitution des procureurs, mise à l’ordre du jour. Confiez aussi aux préfets le droit de destituer les présidens de Sociétés de secours mutuels. Spuller. » Id., 1174-1176.