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complaît : elle l’est encore dans la forme, en dépit de ce nom d’épopée qu’on lui attribue, faute, je pense, d’une appellation plus exacte. Le récit proprement dit n’occupe, en effet, dans ces compositions, mélangées de prose et de vers, qu’une place relativement restreinte. Il semble n’être là que pour relier entre eux les différens épisodes de l’œuvre, permettre à l’imagination de les situer, et servir d’indications scéniques ou de gloses explicatives, en quelque sorte. Le reste, qui est le principal, comprend des dialogues en prose, avec, çà et là, des parties versifiées, constituant soit de véritables monologues lyriques, comme nous en avons dans Corneille, soit des chœurs à la manière antique, qui seraient, toutefois, plus directement intéressés à l’action. Par le dehors comme par le dedans, ces prétendues épopées sont donc, en réalité, des drames, — drames fragmentaires, incomplets, inorganisés même, si l’on veut, mais qui, pour la plupart, n’en témoignent pas moins chez leurs auteurs d’un sens inné de la grandeur tragique. Il n’y a, si l’on veut s’en convaincre, qu’à parcourir les morceaux du Cycle d’Ulster qui ont été publiés sous la direction de M. d’Arbois de Jubainville[1]. Celui qui a pour titre : L’histoire du cochon de Mac-Dathô a l’avantage d’être court : c’est l’unique raison qui me le fait choisir de préférence à d’autres.

Mac-Dathô, roi du Leinster, possède, en son chien Ailbé, capable à lui seul de défendre toute la province, un trésor que lui envient deux de ses voisins : Ailill, roi de Connaught, et Conchobar, roi d’Ulster. Désireux, l’un et l’autre, d’acquérir l’incomparable animal, ils envoient à Mac-Dathô des messagers, porteurs des offres les plus séduisantes. La pièce s’ouvre, pour ainsi parler, au moment où les deux ambassades se rencontrent, sans s’être concertées, dans le palais du roi de Leinster. Le lieu de la scène nous est ainsi présenté : « Le château de Mac-Dathô avait sept portes ; à chacune d’elles aboutissait un chemin. Il y avait aussi sept foyers et sept chaudrons, un bœuf et un cochon dans chacun d’eux ; chaque passant plongeait une fourchette dans le chaudron : si, du premier coup, il atteignait un morceau, il le mangeait ; s’il ne réussissait pas la première fois, il ne pouvait recommencer. » Introduits dans la chambre de Mac-Dathô, les envoyés de Connaught, puis ceux d’Ulster, exposent l’objet de

  1. L’Épopée celtique en Irlande, p. 3-373.