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leur mission. Et voilà Mac-Dathô fort perplexe. A quelque détermination qu’il s’arrête, qu’il refuse de céder son chien ou qu’il s’en prive en faveur de l’un des deux rois, il se fait au moins un ennemi et déchaîne la guerre sur son peuple. Pour gagner du temps, il ajourne sa réponse et commande de distraire les messagers par d’opulens festins. Mais, lui, ses angoisses sont telles qu’il en perd le boire, le manger, le dormir. Vainement sa femme essaie de pénétrer la cause de son mal : il s’obstine dans un sombre silence.

Obéissant à la tension des âmes, le discours, ici, quitte le terre à terre de la prose pour se hausser au diapason lyrique, la parole fait place au chant, et c’est dans le rythme de la strophe que la reine du Leinster exhale douloureusement ses inquiétudes d’épouse, et sa plainte de confidente dédaignée :


L’insomnie a envahi
La maison de Mac-Dathô.
Il délibère sur quelque affaire ;
Il ne veut parler à personne.
Il se tourne et se retourne, loin de moi, contre le mur,
Le héros irlandais aux brillans exploits.
Sa femme prudente se demande
Pourquoi il ne peut trouver le sommeil.


Mac-Dathô rétorque avec dureté :


Crimthand Nia Nair a dit :
«Ne confie point ton secret aux femmes
« Secret de femme est mal caché.
« Confie-t-on sa bourse à un esclave ? »


Ces rudesses sont dans les mœurs des maris. La « prudente » épouse ne s’en émeut, ni ne s’en laisse décourager. Elle se fait seulement plus souple et plus persuasive :


Que diras-tu à ta femme,
Sinon ce qui t’embarrasse ?
L’idée qui ne te vient pas
Peut venir à l’esprit d’un autre.


Elle a conscience de la supériorité que lui assurent sur son maître barbare les ressources d’une intelligence déliée. Déjà, dans ces vieilles communautés celtiques, la femme se révèle plus ingénieuse, plus subtile, plus dépourvue aussi de scrupules que