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nation, et la menace de cette république rend les classes conservatrices plus désireuses de l’éviter par le retour de Nice à l’Italie. Italien d’origine et fixé à Nice, le père de Gambetta se montra Français en conseillant à son fils de choisir un préfet en dehors des « comités locaux qui s’organisent et qui pourraient s’entrechoquer. » Nul ne leur est plus étranger que le journaliste parisien Pierre Baragnon quand, nommé le 7, il arrive le 8. Mais il se sent isolé et faible en face de ces forces, incapable d’agir contre elles, ni sans elles, et, dès le 10, mande qu’il lui faut « des pouvoirs complets, avec hommes du pays[1]. »

L’Aude est un de ces départemens auxquels plusieurs villes rivales donnent plusieurs têtes, chacune assez forte pour se sentir humiliée de suivre, impatiente de devancer, et ces émulations locales accroissent l’élan révolutionnaire. A Carcassonne, le parti démocratique a pour grand homme Marcou, victime du 2 décembre, et ce parti vient de l’emporter aux élections municipales. Dès le 4 septembre au soir, Marcou, dans sa cité, proclame la République, « suivi d’une foule nombreuse de citoyens enthousiastes, prend possession de la préfecture, » et notifie son avènement par une dépêche du « citoyen commissaire de la République acclamé par les citoyens de Carcassonne au citoyen ministre de l’Intérieur. » Narbonne aussi a son grand homme, Raynal, qui, en Espagne le 4 septembre, rentre aussitôt dans sa ville et télégraphie : « Réception enthousiaste, populations entières sur pied. Attends instructions précises indispensables pour agir efficacement ; » et, comme Marcou, il signe : « commissaire de l’Aude. » Mais il a moins de confiance dans cette consécration spontanée, car, le 8, il télégraphie à Gambetta : « Ami, vous avez songé à mes collègues et je suis oublié », et à trois autres membres du gouvernement : « Que dois-je faire ? quel caractère me donnez-vous ? » Entre l’homme qui s’est proclamé lui-même, parle au nom du peuple, est réclamé comme préfet par le conseil municipal de Carcassonne, au nom de la « tranquillité publique, » et l’homme qui veut tenir tout du gouvernement, le gouvernement n’hésite pas, il nomme Raynal préfet de l’Aude. Là aussi, semble-t-il, tout le prestige des révolutionnaires sur la foule est l’aptitude qu’elle leur prête à saisir au vol le pouvoir vacant : s’il passe en d’autres mains, ils n’ont plus que le crédit

  1. Id., p. 752 à 753.