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motifs, autant de couleurs différentes — rouge, jaune, vert et bleu, — dont l’effet se rehausse de riches dorures. Chaque maison a une boutique où s’étalent, généralement à découvert, toutes les denrées et marchandises que le caprice de l’Orient entasse en brillantes pyramides : broderies, riches soieries, fleurs artificielles, écrans et ombrelles, tout ce qui flatte le goût local et sert aux besoins journaliers. Les étalages de porcelaines sont particulièrement séduisans, ainsi que l’orfèvrerie d’argent et de cuivre ; mais on est fasciné surtout par les comptoirs de marchands de bric-à-brac où sont exposés de vieilles laques, des vases cloisonnés inestimables, de vieilles porcelaines et des tabatières artistement ouvragées. Devant chaque boutique, un immense mât se dresse, portant une enseigne qui flotte comme une bannière. Mât et enseigne sont enjolivés et exposent en signes cabalistiques le contenu du magasin. Ceux des cordonniers sont particulièrement artistiques et ne sont surpassés que par les riches festons d’or qui indiquent un prêteur sur gages. L’aspect de la grand’rue, avec sa richesse de couleur et sa variété de lignes, est celui d’un bazar d’Orient ou d’un éblouissant décor de théâtre qui se déroulerait sous mes yeux.

Mais ce qui me frappe le plus, c’est la vie palpitante de cette ville merveilleuse et l’activité qu’elle montre. On dirait une fourmilière ou une marée d’êtres humains débordant les rues. Hommes et femmes, jeunes et vieux, tous les rangs et toutes les nationalités se coudoient et se pressent. Des gens sont portés dans de magnifiques chaises. D’autres se contentent de la brouette, plus humble, où six ou sept hommes en équilibre sur une étroite planche sont poussés par un coolie famélique. Il faut dire que ce sont là les omnibus de la capitale mandchoue et on peut aller d’un bout de la ville à l’autre pour environ un quart de centime. On a récemment introduit les « rickshaws : » c’est un grand progrès sur les vieux moyens de transport, car au lieu d’être poussés ils sont traînés par des hommes. On va beaucoup à cheval, et c’est le mode de locomotion par excellence pour tous les vrais Mandchous.

Ce qui reste de place est occupé par les piétons : ouvriers portant d’énormes fardeaux, coolies vaquant à leurs occupations ordinaires. Le spectacle est certes impressionnant, et, une fois de plus, j’arrive à cette conclusion qu’on ne saisit pas la réalité d’une ville dans le plan des rues ou la hauteur et le style des