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temples pour les sacrifices, abris pour les gardiens et les soldats. Nous descendons de cheval devant l’entrée intérieure. Les massives portes laquées de rouge gémissent sur leurs gonds, tandis que, poussées par une demi-douzaine de soldats, elles s’ouvrent lentement. Nous entrons dans une cour carrée, une sorte de cour d’honneur, coupée par des avenues d’arbres centenaires, peuplée par des géans et monstres de pierre, sillonnée de petits canaux avec balustrades et ponts de marbre. Les cours sont séparées par des galeries ouvertes qui conduisent à la pagode centrale. Celle-ci abrite la tablette commémorative, haute de trente pieds environ, posée sur une colossale tortue plus grosse que deux éléphans. Quelques énormes chaudrons sont épars ; ils servent à faire cuire des bœufs entiers pour les sacrifices. Une fois par an, il y a une grande cérémonie en l’honneur du défunt. L’Empereur devrait être présent en personne ; mais depuis plusieurs années la Cour impériale se fait représenter par des ambassadeurs ; et en considérant ce qu’est le voyage de Pékin à Moukden, je n’ai pas de peine à comprendre que les souverains se contentent d’être présens par procuration. On m’a conté que les mandarins choisis pour cet onéreux pèlerinage étaient souvent ceux dont la présence n’est pas désirée à Pékin ; leurs aventures de voyages durent souvent plusieurs mois et dans certains cas on ne les a jamais revus.

Le grand ancêtre fut un des fondateurs de la souveraineté mandchoue en Chine et sa tombe est taillée au cœur de la montagne ; mais on n’en connaît pas l’emplacement exact. Nous passons là presque tout l’après-midi et je mets à profit de mon mieux ma permission de dessiner et de photographier. Mais le meilleur appareil, comme aussi la plume du plus accompli narrateur, reste condamné à trahir la réalité. L’art et la nature se combinent ici d’une si exquise manière qu’il est impossible de décrire la scène à ceux qui ne l’ont pas vue. Le charme et la beauté de ce lieu, encore une fois, naissent de la parfaite harmonie du calme, de la solitude et de la paix.

Les misérables faubourgs boueux semblent sans fin quand nous les suivons au retour. De pauvres huttes, bâties de mottes de terre et couvertes de paille, avec des portes faites de quelques planches et des fenêtres où le papier de riz pend en lambeaux, s’alignent le long des rues désertes. Nous rencontrons des cortèges qui se pressent derrière d’énormes cercueils noirs. J’ai