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c’est-à-dire dans les derniers temps de la République et au commencement de l’Empire, la mode des maisons de campagne s’était déjà beaucoup répandue dans toute l’Italie. Elle n’était pas très ancienne, il est vrai. Jusque-là, les Romains n’avaient guère le temps d’aller, pour leur plaisir, respirer en été l’air frais des montagnes sabines ou goûter au printemps la douceur du ciel de Naples. Ils pensaient qu’ils avaient mieux à faire et qu’une autre besogne réclamait leur activité : le service de l’État et la conquête du monde. Ils venaient donc à la ville pour briguer les fonctions publiques ; ils y restaient ensuite pour les exercer. Ou, s’ils la quittaient, à la tête des légions, dans l’administration des provinces, généraux, préteurs ou proconsuls, ils continuaient à faire acte de citoyens. Scipion retiré à Literne et obstinément résolu à mourir loin de Rome, est une exception parmi les grands personnages d’alors. Les autres avaient beau être propriétaires de domaines importans ; au milieu des soins de la vie rustique, ils ne négligeaient pas de remplir exactement les magistratures que leur confiait la cité. Ils ne demeuraient aux champs que pour leurs intérêts. Être à la campagne, pour eux ce n’était pas rester oisif et rêver au milieu des beautés de la nature, c’était diriger l’exploitation de son bien, faire travailler les esclaves, assurer la rentrée des récoltes, surveiller les pressoirs où coulent l’huile et le vin. Un Caton visitait sa terre en maître impitoyable, qui cherche comment il tirera d’elle le meilleur rendement, non en ami qui lui sait gré d’être bonne et féconde, douce et reposante. La maison d’habitation, dès lors, se réduisait à n’être qu’une maison de ferme. Aussi bien, dans le langage, le même terme de villa servait à la fois pour désigner l’une et l’autre.

Mais depuis Caton les temps ont changé. La Grèce et surtout « la molle Ionie, » sans cesse fréquentées, ont enseigné le bien-être et le luxe, la valeur des objets d’art et l’agrément des belles résidences. Puis, aux mains des officiers et des fonctionnaires d’Orient, les fortunes se sont accrues, et la richesse nouvelle a donné les moyens, en même temps que l’envie, de satisfaire de nouveaux désirs. Enfin, sans se désintéresser de la chose publique, on commence à souhaiter de vivre un peu, pour soi et ses amis. Les lettres grecques se sont maintenant emparées des esprits ; on les aime avec passion ; l’on n’est plus réputé homme bien né, si l’on ne peut causer poésie, éloquence, philosophie.