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flots. Voici la rocheuse Ischia, Procida, Nisida la volcanique, au milieu de ses vapeurs de soufre, puis la côte du Pausilippe, Naples enfin que, d’une chambre formant la partie saillante de l’édifice, on aperçoit en droite ligne étinceler sur le rivage opposé. Dans cette aile, où Pollius doit aimer à se tenir, ont été prodigués les marbres des plus célèbres carrières de Grèce, d’Asie et d’Afrique ; et leurs nuances se mêlent, du plus chatoyant effet, le blanc aux veines pourprées de Synnade, le vert d’Amyclées, le jaune de Numidic, le bleu de mer de Carystos. — Pour achever de se représenter cette villa, il faudrait la peupler partout des chefs-d’œuvre de l’art, statues de Myron, de Polyclète et de Phidias, bronzes de Corinthe, tableaux d’Apelle, et aussi des portraits de généraux, de poètes, de philosophes ; car l’habitude d’honorer les grands hommes du passé en multipliant leur image s’était répandue de Grèce en Italie, et le possesseur de la maison de Sorrente, à la fois élève des Muses et disciple d’Epicure, avait à cœur plus qu’aucun autre de se conformer à cette pieuse coutume.

Tel est le séjour où Pollius Félix cultivait la poésie et demandait aux leçons du vieillard de Gargette la sagesse et la paix de l’âme. Mais cette demeure, comme celle de Vopiscus à Tibur, est encore une villa de grand seigneur. Qu’étaient au juste les maisons de campagne que nous appellerions bourgeoises ? C’est Pline le Jeune cette fois qui nous l’apprendra ; deux de ses lettres, sous ce rapport, sont des plus curieuses. Pline n’était pas, si l’on veut, un bourgeois, puisque la classe moyenne n’existait pas à Rome. Mais, originaire de Côme, il n’appartenait qu’à la noblesse provinciale et municipale ; et, d’autre part, sa fortune, qui pourrait nous sembler assez considérable — elle devait se monter à plusieurs millions de sesterces, dépassant ainsi de beaucoup la somme nécessaire pour entrer au Sénat[1], — était regardée à cette époque comme une fortune ordinaire. Lui-même qualifie ses ressources de modestes ; en tout cas, il ne comptait certainement point dans la première catégorie des sénateurs, parmi ces personnages dont la richesse atteignait 300 à 400 millions de sesterces. Il suit de là que ses descriptions auront d’abord l’avantage de nous mettre sous les yeux, non pas quoique villa exceptionnelle, mais le genre d’installation que

  1. Il suffisait d’un million de sesterces pour posséder le cens sénatorial.