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ma femme ou quelques amis, il y a place de nouveau pour une lecture. Enfin, au milieu d’entretiens variés, le jour le plus long se trouve vite écoulé. » Ainsi, qu’il se repose, qu’il marche ou qu’il mange, dans son lit, en voiture, à table, en tout lieu, à toute heure, Pline travaille. Mais, penserez-vous, il oublie donc qu’il est à la campagne ? Le programme qu’il se trace peut aussi bien convenir à un citadin. La nature, les beautés pittoresques, à quel moment de la journée, par où le prennent-elles ? On ne sait ; il n’en est pas question. Jusqu’aux deux tiers de la lettre, on ne se douterait pas qu’il a quitté Rome. Rien de plus curieux et de plus significatif.

Voilà pour sa saison d’Étrurie, à Tifernum Tiberinum. — Et à Laurente, le verrons-nous jouir un peu plus des champs et quitter une bonne fois ses études ? La mer le passionnera-t-elle plus que les montagnes ? — Elle le passionne en effet, et Laurente lui plaît infiniment. Sachons pourquoi. « C’est ici, s’écrie-t-il, que je ne suis dérangé par personne. Je ne m’entretiens qu’avec moi-même et avec mes livres. O la douce et bonne vie ! O l’agréable repos ! Mer, rivage, mes vrais et discrets cabinets de travail, que d’idées vous me faites trouver, que d’ouvrages vous me dictez ! » En vérité, il n’aime le spectacle des vagues et de la côte du Latium, que comme un excitant à la composition littéraire. Ce qu’il lui faut, c’est encore lire ou écrire de la prose, des vers, rédiger un discours, aligner des hendécasyllabes : façon particulière, et singulière, d’entendre la campagne ! Va-t-il à la chasse, — car il y va tout de même quelquefois, — il ne manque jamais d’emporter ses tablettes. « Si je m’en retourne les mains vides, je reviens au moins les pages pleines. » Du reste, ne croyez pas qu’il aille à la chasse par plaisir ; c’est seulement qu’il a remarqué que le mouvement et l’exercice, donnant le branle à sa pensée, faisaient naître en lui d’heureuses inspirations.

Et je veux bien que l’excellent Pline ait en plus qu’aucun autre la démangeaison d’écrire. Mais ses contemporains aussi, et tous plus ou moins, étaient atteints du même mal : sa correspondance le montre assez. Que fait Pomponius Bassus, au bord de la mer ? Il disserte et écoute des conférences. Et Cornélius Tuscus, dans son domaine ? Il demande un plan d’études à son maître, qui le lui envoie aussitôt, lui conseillant de traduire du grec en latin ou du latin en grec, de composer des œuvres